4 è dimanche de l’Avent:
Cliquer pour agrandir
©Fra Angelico, Annonciation, Cellule n°3, 2ème étage, Peinture murale, 157 x 187 cm, v. 1440-1441, Florence, Couvent de Saint Marc.
Malevitch Kazimir,
Carré blanc sur fond blanc,1918
|
Luc 1, 26-38 « Un espace vierge pour tous les possible de Dieu »
L’Annonciation peinte par Fra Angelico éblouit littéralement par son excès de blancheur et sa sobriété épurée.
Il faut sans doute la regarder tout d’abord en situation, fresque inscrite dans l’architecture de la cellule du couvent Saint Marc de Florence et peinte à gauche de la fenêtre s’ouvrant sur le cloître. Nous sommes face à deux ouvertures : l’une s’ouvrant sur le monde des hommes (en silence et prière), et l’autre sur le ciel.
Et il semble bien, dès le premier coup d’œil frontal, que la puissance fascinante du blanc nous fait entrer dans l’expérience du face-à-face et du dialogue entre l’ange et la jeune fille.
Ce tout premier éblouissement nous fait goûter, dans un deuxième temps à l’effet lumineux de l’expérience spirituelle, celle du peintre méditant le récit lucanien et celle du peintre, frère dominicain en habit blanc, le transcrivant sur le mur blanc de sa cellule, mais aussi celle de Marie dont nous sommes témoins comme lecteurs de l’évangile, comme spectateurs de la fresque, et aussi à travers la présence attentive du troisième personnage (Pierre de Vérone).
L’excès de blanc que nous contemplons, dépasse absolument la surface du mur peint, et devient espace, lieu, chambre ; il est un contenu devenu contenant, comme Marie devient elle-même “demeure de Dieu parmi les hommes”.
Nous sommes face à un vide, un vide de l’espace blanc qui donne force et puissance à l’image contemplative, et nous fait plonger dans le mystère de l’Incarnation où le Verbe prend mystérieusement chair, là, sous nos yeux. L’instant figé devient instant éternel.
Et ce dernier verset (v. 38), après le dialogue intense où chaque mot prononcé ou écouté a son poids de gloire, résonne aussi comme un vide, un espace vierge, un contenant pour tous les possibles de Dieu. « Alors l’ange la quitta », traduit par la l’interlinéaire grec/français par : « l’ange s’éloigna d’elle » ou par André Chouraqui : « Le messager s’en va loin d’elle ». Cet espace blanc pictural répond à l’éloignement scripturaire : la place de Dieu, la place de l’Esprit Saint (n’oublions pas qu’un des sens du mot “Ruah” est “espace”).
David Foenkinos dans son roman “La délicatesse” a recours aussi au pouvoir du blanc. C’est cet effet chromatique que le héros choisit pour dire l'inconnaissance dans laquelle un mystérieux baiser l’a plongé.
[Extrait de David Foenkinos, La délicatesse, 2009, Folio, p.84-85]
« Je voudrais savoir pourquoi vous m’avez embrassé. » [...]
Il attendait une réponse, ce qui était parfaitement compréhensible. Le temps passait. Il lui fallait parler :
« Je ne sais pas,
— Vous ne savez pas ?
— Non, je ne sais pas. »
Il n’y avait rien à dire.
Ce baiser était comme l’art moderne. Titre d’un tableau de Kasimir Malevitch
Carré blanc sur fond blanc (1918).
[...] la naissance sans annonce d’une sensation, d’une force lumineuse.
Pour aller plus loin dans une approche sémiologique
Article de Louise Boisclair, Université du Québec à Montréal, publié en ligne le 1er mars 2011, “L’Annonciation de la cellule trois, de Fra Angelico : aura et interprétation in situ”.
http://epublications.unilim.fr/revues/as/1953
Sr Nathalie Le Gac, CSJ, Mechref (Liban), 21 décembre 2014 |