On l’appelle dans l’Evangile, le « Jeune Homme riche ». Marc, lui, parle simplement « d’un Homme »…Monsieur ou Madame « Tout le Monde »… C’est un perfectionniste! Il veut être parfait et Jésus doit, à sa demande, d’être rassuré sur son à-venir… Eternel !!!! Jésus lui suggère de se séparer d’abord de « ses biens », sa sécurité, ses certitudes tranquilles. Il craque… « C’est trop dur ».
Un soir de la semaine passée, un appel sur mon Téléphone. Presque un cri… « J’en ai marre ! Je n’en peux plus, Jean, c’est trop dur… » Depuis plus de deux ans elle vit au rythme de la maladie d’Alzheimer d’Alain, son mari… Tous les matins, toutes les saisons, toutes les fêtes… D’abord, je n’ai rien dit. Me contenter de « bons conseils » (même si j’ai vécu 3 fois cette terrible aventure avec des proches…), de belles paroles de « compréhension ou de consolation… » On se serait séparé au bout de 10 minutes… J’ai simplement murmuré : « Nadège, raconte-moi tout ce qui te passe par la tête !!! » J’ai tenu mon téléphone, j’ai écouté, j’ai entendu, sans rien dire…. Elle a tout déposé. Comme ça. En vrac. Comme on pose un sac devenu trop lourd.
« Quand je le regarde jouer avec ses bibelots d’enfants, poser un regard absent sur les choses ou les gens, comme quelqu’un qui a déserté la Vie, j’ai envie de crier, pleurer, de laisser aller ma colère, ma révolte… J’ai envie certains jours de baisser les bras, de souhaiter qu’il s’en aille enfin ! Je n’ai pas choisi ce Calvaire ! Pourtant, quand je m’approche, quand il croise mon regard, je sais qu’il comprend que je ne l’abandonnerai jamais, qu’il ne manquera jamais d’amour auprès de moi… Ce n’est pas un malade, c’est « mon Homme malade » ! Je reste auprès de lui pour qu’il ne perde rien de sa dignité. De ce qu’il a été… avant ! Alain a besoin de ma présence, mes sourires, mes gestes, mes chansons fredonnées, mes pas de danse même !!! Le seul cadeau que je puisse lui faire aujourd’hui, c’est mon temps, ma patience, ma fidélité… Ce que je lui donne en cet instant, personne d’autre ne peut lui offrir.. »
« Allo? T’es toujours là, Jean ??? »
Bien sûr que je l’écoute. Silencieux devant cette tendresse à chaque instant disponible. Nadège est seule capable en ces instants de rejoindre « l’invisible » de son « homme blessé, abîmé…. » comme elle dit… Je l’imagine embrassant Alain. Un baiser divin ! Comme celui de Dieu au matin de la Création de l’Etre Humain, selon la Bible… Je l’imagine essuyant délicatement la salive qui coule sur son menton, épongeant le front en sueur, faisant disparaitre la petite larme qui s’échappant de deux yeux qui la fixent comme un appel au secours…
Moi, depuis ma petite vie bien calme comme celle de l’Homme de l’Evangile, je pense au geste du Serviteur essuyant la saleté sur les pieds des disciples… Au geste de Véronique essuyant le visage de l’Homme-Dieu torturé. Au geste des femmes recouvrant le corps du Crucifié du Golgotha. Alain c’est aussi Jésus dans toute sa nudité… Dans cet Enfer d’une maladie sans espoir, le Purgatoire de Nadège s’appelle la patience… Un rendez-vous chez sa coiffeuse, une heure de shopping ! les visites des enfants, les voisins, une ballade autour du lac. Un moment de Paix c’est toujours bon à prendre !!! Avant de revenir, rentrer, recommencer… Nadège et Alain n’ont pas choisi cette « pauvreté là » qui leur arrache « tous leurs biens ».
Nous avons chacun raccroché notre Téléphone… Après quelques mots drôles et chaleureux qui font tant de bien.. Nadège sait que j’ai raconté son histoire cette semaine. Je ne sais pas si j’ai bien fait. Mais je suis très content de l’avoir fait…
Texte : Jean Bosset
Illustrations : Aude de Kerangué
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