Il est passé chez nous, léger, transparent, discret, infiniment. C’est un homme qui ne brille en rien.fr-alois-01

 En lui, rien d’extraordinaire mais, avec lui, l’ordinaire est toujours extraordinaire. C’est quelqu’un d’entièrement réceptif qui, comme une plaque sensible se laisse impressionner par la moindre chose, la plus infime, la plus importante… quelqu’un qui diffuse autour de lui la paix. De lui, émane une douceur, une joie, une force qui lui viennent d’ailleurs. C’est quelqu’un d’ «habité », tout simplement.

Il écoute, il vous écoute avec un infini respect. Il est simple, il a gardé quelque chose de l’enfance, sa candeur, un regard bleu très limpide comme les lacs de son pays. Il sait s’émerveiller, se laisser bouleverser, atteindre, blesser. Il s’expose… il est exposé.

Il arrive de Mechref, juste un arrêt en route : à un barrage, un soldat lui a dit « regarde-moi et souviens-toi de moi dans ta prière ». En arrivant à Lattaquié, il descend de voiture en rendant grâce d’avoir pu voyager sans encombre. Et, parce que, pour lui, s’accueillir c’est avant tout se recueillir ensemble, la première chose qu’il fait c’est de réciter très spontanément, devant l’icône de la Vierge de tendresse, un « je vous salue Marie » dans lequel il nous entraîne … signe de reconnaissance qui situe la rencontre. Après, seulement, nous nous sommes présentés mutuellement.
Il s’appelle Aloïs joseph. Au Pape Benoît XVI, il a dit simplement : « je m’appelle comme vous, Joseph Aloïs !» ils se sont reconnus.
Il a rencontré deux fois notre Pape François qui lui a dit : « le frère Roger, pour nous catholiques, c’est un Saint. Vous pouvez rapporter ce que je vous dis là autour de vous ».  Lui, dans sa modestie, pense que ce n’est pas à lui de le faire.

Le premier qu’il ait rencontré ici, c’est notre jardinier Abou Fadel, un homme de la terre, des villages des environs de Gisr al choughour, arraché à sa maison par Daesh et replié à Lattaquié. Il lui a parlé… comme à un prince ! Il s’est émerveillé devant nos orangers. Il a partagé la joie de notre petit jardin d’enfants.fr-alois-01b Tout naturellement il est entré dans la ronde enfantine et nous a demandé « comment vous faites en Syrie pour avoir des enfants si beaux ? »
Il est venu rejoindre la réalité de ce pays pris dans la spirale de la violence, meurtri, désarticulé, blessé profondément. Il a voulu visiter ceux qui souffrent, les plus pauvres. Il a été accueilli par quatre centres d’enfants dans lesquels beaucoup de réfugiés : l’un sunnite, l’autre alaouïte, les deux autres de toutes confessions. fr-alois-02Il a été profondément atteint par ces enfants, les uns traumatisés par les atrocités de la guerre. « au début , lui dit-on, ils ne dessinaient que des mitraillettes, des kalachnikoff,  au bout de 4 années, ils commencent à dessiner des fleurs !!! », et puis les autres, victimes de violences sexuels, maltraités, violés, bafoués… enfin, les handicapés IMC, trisomiques. Il a vibré à tous, à tout…
De suite  – cela lui a été offert – il a pu prendre contact avec toutes les églises : l’évêque orthodoxe, l’évêque grec- catholique et le latin venu à Lattaquié – heureuse coïncidence –  pour l’ouverture de la porte de la miséricorde…et puis les prêtres. Il a même assisté à un récital des chorales latine et maronite. il a aimé la vitalité de cette jeunesse.
Et surtout, il ya eu le partage de notre prière : l’oraison, la liturgie, le partage du pain et encore le partage de la beauté contemplée, cet instant intense passé dans les rochers à écouter la mer, ensemble et silencieux, unis en Lui, le Seigneur de nos vies.

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fr-alois-04L’avenir de ce pays ? Il a laissé parler les jeunes venus à sa rencontre, les couples, ils ont posé tant de questions.. partir ou rester ? tant sont déjà partis ; ils ont dit leurs souffrances, leurs angoisses, leur doute : que fait Dieu face à tant de malheurs ? « lui n’avait pas de réponse sinon le Christ sur la croix, dépouillé, dénudé, abandonné de tous, entièrement remis… vivre un pas après un pas avec lui, un jour après un jour l’instant qui nous est donné…
L’avenir ?  « ce pays est appelé à un vivre-ensemble fraternel ,tous, de quelque confession que ce soit » lui a affirmé avec flamme une femme alaouïte  qui dés le début de la guerre a fondé une association au nom évocateur « MosaÏque » pour remettre à flots les jeunes scolaires dans leurs études . Elle l’affirme avec force et véhémence comme si elle voyait déjà « une terre nouvelle et des cieux nouveaux ».
Avant hier matin, il est parti comme il était venu, voyageur sans bagage, pauvre, libre, : un frère venu visiter des frères dans la tourmente. Il est parti pour Homs, dernière étape de son pèlerinage syrien. Avec Sr Rima, il a traversé à pieds cette ville fantôme, désertifiée, muette, il a découvert le visage douloureux  et défiguré de ce beau pays. Il a été bouleversé. Il s’est recueilli sur la tombe du Père Frans, a visité sa chambre, une pauvre cellule : comme lit une simple paillasse, quelques livres, une bible encore ouverte sur l’évangile de Jean. Là il s’est agenouillé, il a baisé le sol.

Hier il s’est envolé de Beyrouth. Aujourd’hui, il transmet le message aux jeunes rassemblés par Taizé à Valence, en Espagne : il vit tout simplement les Actes des Apôtres.

Sœurs de la communauté de Lattaquié, le 27 décembre 2015

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