L’accueil d’une famille irakienne à la fraternité de Lyon …
une rencontre, un déplacement mutuel, une amitié tissée …
Témoignage complet :
Le samedi qui précède le premier dimanche de l’Avent, Catherine reçoit la visite de 2 professeurs de l’école publique primaire de Sainte Foy-lès-Lyon qui demandent si nous pourrions accueillir une famille irakienne, 2 parents et 4 enfants, qui dorment dans leur voiture depuis 4 ou 5 nuits. Deux de ces enfants sont dans leur école et un troisième en maternelle. L’une de ces professeurs et la directrice de l’école ont déjà accueilli cette famille une nuit chacune, dans leur salon … Catherine leur dit que nous devons en parler en communauté avant de leur donner une réponse.
Une fois ces deux professeurs partis, Catherine, sentant qu’on ne peut pas se dérober devant le visage du frère, parle immédiatement à Josiane qui entend cela comme un appel, la veille du premier dimanche de l’Avent : « il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune ».
Nous en parlons en communauté, et toutes les sœurs sont prêtes à accueillir cette famille, même si nous n’avons qu’une seule chambre de 3m sur 3m, avec un petit couloir, une douche et une toilette.
Dimanche matin, nous appelons les professeurs et leur disons que nous pouvons les accueillir 4 jours et 4 nuits, temps où notre unique chambre d’accueil est libre. Ils souhaitent qu’Elie Thérèse puisse assurer la traduction français-arabe pour un premier contact avec les parents.
Aussitôt, nous nous activons pour la préparation de cette petite chambre afin qu’elle puisse accueillir 6 personnes ! Recherche de matelas, d’oreillers, de couettes, couvertures, serviettes de toilette …
Mardi, la famille arrive : parents et enfants … nous nous découvrons mutuellement, nous parlons français avec les enfants, français-traduction arabe et anglais avec les parents, nous utilisons aussi le langage des mains, nous montrons, visitons les lieux, ouvrons les espaces, jouons avec les enfants … Car cette famille vivra avec nous, dans le même espace en ce qui concerne la cuisine, les repas, le séjour et la lessive. Nous essayons de parler des limites de part et d’autre : pas de porc pour eux, l’espace communautaire des cellules et les heures de prière pour nous.
Nous découvrons petit à petit leur histoire, à travers des moments d’échange, des photos, … Une famille irakienne, partie en 2014 d’Irak pour le Brésil, Mehdi et Anissa avec 2 enfants (Leila – 8 ans et Rachid – 7 ans). 2 autres enfants sont nés au Brésil (Ahmed – 4 ans et Nahil – 2 ans). Après le Brésil, ils passent en Guyane française, se sentant en insécurité dans un Brésil où grandissent les replis identitaires. En Guyane, ils obtiennent le statut de réfugiés politiques et arrivent à Lyon. Depuis leur arrivée, ils ne cessent de changer de logement, de semaine en semaine, ils recherchent du travail, les enfants vont à l’école, sauf le plus jeune. Ces déplacements incessants provoquent chez ces enfants, et particulièrement chez le dernier, une grande insécurité.
La famille investit les lieux, Anissa aide à la cuisine, nous fait un repas, fait de nombreuses lessives puisque depuis plusieurs jours ils dormaient dans leur voiture… Les sœurs jouent avec les enfants, parlent avec Mehdi et Anissa …
Finalement, nous prenons nos repas ensemble, et Mehdi exige que ses enfants soient présents à la prière du début du repas. Nous organisons la fête de Saint Nicolas pour les enfants.
Lorsqu’ils rentrent de l’école, ils se jettent dans nos bras et demandent à jouer. Parents et enfants disent qu’ils rentrent chez eux quand ils arrivent à la fraternité.
Une vraie confiance mutuelle se fait de part et d’autre. Le papa, qui n’avait pas dormi avec sa famille (mais dans sa voiture) dans les appartements des professeurs de l’école, a dormi avec sa famille, mangé avec nous, parlé, vécu dans la maison … L’espace de chacun a été respecté, même si pourtant nous vivions dans les mêmes espaces, parce que chacun a fait preuve d’un grand respect de l’autre.
Après 4 jours et 4 nuits, ils partent … mais le matin, ils n’ont pas encore de logement … angoisse et inquiétude pour eux et pour nous … vont-ils trouver quelque chose ? Les parents repassent le soir pour nous annoncer qu’ils ont deux logements successifs pour le temps des vacances de Noël. Soulagement de part et d’autre … un lien nous unit désormais … mais nous sommes aussi conscientes que nous ne pourrions pas les accueillir durant 6 mois de cette manière, dans la maison.
Après leur départ de la fraternité, il y a encore eu plusieurs mois avant que cette famille ne trouve enfin un logement définitif. Durant ces mois, ils passent plusieurs fois chez nous, qu’ils appellent « les amis », ils nous embrassent comme des frères et sœurs et nous donnent des nouvelles de l’avancement de leur situation. Nous les invitons pour fêter Noël le 23 décembre. Lorsque les enfants reviennent, ils demandent « où est notre chambre », inquiets de savoir s’il y a quelqu’un d’autre dedans.
Relecture et réflexions …
Plusieurs idées ont traversé nos esprits :
– Si, lors de la demande et de notre décision de les accueillir, certaines avaient des idées préconçues, des peurs, par rapport aux musulmans, aux étrangers … ces idées et ces peurs sont tombées en réalisant que nous aussi nous étions étrangères, accueillies en France.
– Certaines se sont dit que plutôt que de chercher des « efforts » d’avent, celui-ci nous était proposé et offert … Nous n’avions qu’à entrer dedans.
– D’autres ont été habitées par l’info et ont pensé qu’on ne pouvait pas laisser des enfants dehors. Leur humanité a parlé plus fort que leurs réticences.
– D’autres ont pensé qu’une seule chambre c’était peu … mais que peu était mieux que rien et que c’était ce que nous pouvions offrir de mieux.
Plusieurs forces ont permis cet accueil et surtout cette rencontre magnifique :
– notre propre multi-culturalité … tous migrants, tous étrangers, tous accueillis, tous déplacés pour rencontrer l’autre.
– le corps communautaire permet que la peur de l’une soit portée par la confiance de l’autre.
– l’enfant ouvre à la relation entre adultes. Un médiateur de relations !
– Les instances tierces : l’école des enfants, l’antenne logement, l’assistante sociale… Nous ne sommes pas seules et isolées pour accompagner cette famille.
Nous ressortons grandies de cette expérience, enrichies d’une nouvelle amitié, heureuses d’une rencontre, des déplacements, de l’ouverture, des prises de consciences que cela a provoqué en nous.
Nous savons aussi que nous avons eu beaucoup de chance avec ce couple et que la rencontre aurait pu être beaucoup plus difficile avec un couple moins bien éduqué, moins cultivé, moins honnête, … Nous ne pouvons que rendre grâce et rester éveillées …
Merci Anissa, Mehdi, Leila, Rachid, Ahmed et Nahil,
Josiane, Charline, Stella, Cécile, Thao, Isabelle, Clarisse, Thuy et Catherine (et Elie-Thérèse).
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