Il y a 80 ans le camp d’Auschwitz était libéré, je vous partage des extraits des » Lettres de Westerbork » de Etty Hillesum.
Cette jeune juive hollandaise dont le journal s’intitule » Une vie bouleversée » a écrit ces lettres depuis ce camp aux Pays Bas.
« Je sais que ceux qui haïssent ont à cela de bonnes raisons. Mais pourquoi devrions nous toujours choisir la voie la plus facile, la plus rebattue ? Au camp, j’ai senti de tout mon être que le moindre atome de haine ajouté à ce monde le rend plus inhospitalier encore. Et je pense, avec une naïveté puérile peut-être mais tenace , que si cette terre redevient un jour un tant soit peu habitable, ce ne sera que par cet amour dont le juif Paul a parlé jadis aux habitants de Corinthe au treizième chapitre de sa première lettre. » ( Décembre 1942 )
« Un ami inoubliable – dont la fin paisible me remplit chaque jour encore de gratitude- m’a appris à temps cette grande leçon de Matthieu 24 : « Ne vous inquiétez pas de demain : demain s’inquiétera de lui. A chaque jour suffit sa peine. » C’est la seule attitude qui vous permette d’affronter la vie d’ici. Aussi c’est avec une certaine tranquillité d’âme que chaque soir, je dépose mes nombreux soucis terrestres aux pieds de Dieu. Ce sont bien souvent des soucis d’une grande trivialité, par exemple lorsque je me demande comment arriver à faire la lessive de toute la famille, etc.
Les vrais, les grands soucis ont totalement cessé d’en être – ils sont devenus un Destin auquel on est désormais soudé. » ( 31 juillet 1943 )
« Beaucoup, ici, sentent dépérir leur amour du prochain parce qu’il n’est pas nourri de l’extérieur. Les gens, ici, ne vous donnent pas tellement l’occasion de les aimer, dit-on. « La masse est un monstre hideux, les individus sont pitoyables » a dit quelqu’un. Mais pour ma part, je ne cesse de faire cette expérience intérieure : il n’existe aucun lien de causalité entre le comportement des gens et l’amour que l’on éprouve pour eux. L’amour du prochain est comme une prière élémentaire qui vous aide à vivre. La personne même de ce « prochain » ne fait pas grand chose à l’affaire. » ( 8 août 1943 )
« Toi qui m’as tant enrichie, mon Dieu, permets-moi aussi de donner à pleines mains. Ma vie s’est muée en un dialogue ininterrompu avec Toi, mon Dieu, un long dialogue. Quand je me tiens dans un coin du camp, les pieds plantés dans la terre, les yeux levés vers ton ciel, j’ai parfois le visage inondé de larmes- unique exutoire de mon émotion intérieure et de ma gratitude. Le soir aussi, lorsque couchée dans mon lit je me recueille en Toi, mon Dieu, des larmes de gratitude m’inondent parfois le visage, et c’est ma prière. » ( 18 août 1943 )
« Christine, j’ouvre la Bible au hasard et trouve ceci : » Le Seigneur est ma chambre haute . » Je suis assise sur mon sac à dos, au milieu d’un wagon de marchandises bondé. Ce départ est tout de même venu à l’improviste. Ordre subit de La Haye, spécialement pour nous. Nous avons quitté ce camp en chantant, père et mère très calmes et courageux. Mischa également. Nous allons voyager trois jours. Merci de tous vos bons soins. Peut-être aussi ma dernière longue lettre ? Un au-revoir de nous quatre. » ( 15 septembre 1943 )
Ses parents moururent pendant le transport ou furent gazés dès leur arrivée à Auschwitz. Etty serait morte le 30 novembre 1943, Mischa le 31 mars 1944.
Etty Hillesum, « Une vie bouleversée » suivi de » Lettres de Westerbork ». ( A lire et relire )
Jacques Thierry.
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