Témoignage « veillée de prière pour les vocations » samedi 7 mai 2022
PASSAGE DU « SÛRE DE SOI » AU « SÛRE DU SEIGNEUR »
01 Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; *
je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent.
02 Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; *
mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère.
Ces versets du psaume 130, m’ont été donnés à lire, alors que tout feu tout flamme, à la veille de mon entrée au Carmel Saint-Joseph en 2000, je déboulais dans le bureau du curé de ma paroisse, lui proposant d’inscrire un petit mot dans le bulletin paroissial pour informer l’assemblée de mon départ et la permission d’organiser un pot de départ, que je voulais comme une sorte de témoignage de l’appel reçu et de ma « généreuse » réponse.
Le prêtre m’a regardé très calmement, m’a faite asseoir en face de lui en me tendant un psautier, et là, il m’a demandé de lire : « Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent …».
Autant vous dire que chaque mot était comme arraché de ma bouche, des uppercuts en plein ventre, à me couper le souffle. J’avais envie de lui balancer le livre sur la tête. Et cette lecture, où chacun des mots que je prononçais me plongeait dans une colère noire, fut une longue montée du calvaire. Tout bouillonnait de rage au fond de moi et dans mon silencieux espace intérieur hurlait la démesure de ma réponse « SEIGNEUR, OUI ! J’AI LE CŒUR FIER (d’avoir été choisie et élue) ET LE REGARD AMBITIEUX (de te répondre de toute ma force), OUI ! JE POURSUIS GRANDS DESSEINS ET MERVEILLES QUI ME DÉPASSENT (de me donner totalement corps, âme et esprit dans la vie religieuse) » ; car ce n’était pas rien que de vouloir me donner totalement, et la berceuse imposée et récitée du bout des lèvres me secouait plutôt au rythme d’un Rock’n’ roll ! Mon âme n’était absolument pas comme un petit enfant contre sa mère !
C’était comme si l’amour pour le Christ que je ressentais au fond de moi et qui me dépassait n’était ni entendu, ni compris. Cette frustration ne m’a pas quittée pour au moins dix années et à chaque office des vêpres où nous chantons ce psaume (Mardi III), j’ai continué à frémir d’impatience.
Thérèse d’Avila écrit dans le récit de sa vie (V 39,13) : « Il est impossible de tout quitter dans le seul but de contenter Dieu, sans une grande force d’amour ». Peut-être que mon amour n’était pas encore assez confiant et purifié et que la démesure qui essayait de s’exprimer n’était rien d’autre que la violence de l’arrachement, du deuil et des pertes qu’entraînent indéniablement les premiers pas d’une vocation religieuse (à savoir : l’éloignement familial, le déracinement de mon lieu de vie, la démission de mon travail créatif et épanouissant et par conséquent embrasser une certaine pauvreté, la rupture avec mon cercle amical, le changement de mode de vie, l’entrée dans l’aventure d’une vie communautaire avec des sœurs non choisies, la découverte de l’obéissance et de la dépendance, etc.) ? C’était un grand saut dans l’inconnu ! Et la tentation d’un doute : et si je me trompais moi-même ?…
Et pourtant…, la certitude que je ne me trompais pas de chemin, la garantie d’un chemin épanouissant et de bonheur étaient plus fortes que la peur de m’égarer, mesurables dans la paix qui m’inondait et la résonance de la Parole de Dieu entendue : « Vers qui irai-je Seigneur, tu as les Paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68) , « Choisis la Vie ! » (Dt 30,19). Je devais continuer ce chemin où le Christ devenait, petit à petit, mon unique trésor et le centre de ma vie.
Lorsque la semaine passée, j’ai interrogé, autour de moi, des personnes au sujet de la veillée de ce soir et sur ce qu’elles auraient souhaité entendre d’une vocation, leurs réponses ont été assez concordantes comment sentir le Feu du premier appel ?, comment entendre les Cloches du paradis…? Le feu comme les cloches sont des images fortes et radicales. Un Père carme me confiait qu’une vocation à son début est comparable au décollage d’une fusée, c’est en cet arrachement de la terre qu’elle consomme le plus de carburant et fait le plus de bruit.
Chaque appel reste singulier et unique mais à chacun de nous est adressée une invitation à écouter et entendre : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3,20). Personnellement, j’ai pris cette invitation de Jésus très au sérieux et j’ai grand ouvert la porte de mon cœur au Seigneur, par le biais de la prière personnelle et silencieuse, ce trésor du Carmel. Et immédiatement, tout – dans ma vie, comme en moi – a été dilaté, agrandi, embelli, transfiguré. Comme dans un effet boule de neige, des lumières sur ma route, des témoins de foi, des guides ont été délicatement déposés, m’ont attirée, poussée, encouragée jusqu’au Carmel Saint-Joseph. Et j’y ai couru ! « Attirez-moi ! Nous courrons » écrit sainte Thérèse de l’Enfant Jésus de la Sainte Face, en continuant ainsi « Qu’est-ce donc de demander d’être Attiré, sinon de s’unir d’une manière intime à l’objet qui captive le cœur ? » (Ms C, 35 vº).
Une série d’épreuves de foi m’ont, au cours des dernières années, fait entendre un nouvel appel, l’appel dans l’appel… affiner, creuser ma vocation dans un décentrement obligé, non plus en me focalisant sur « ma » vocation, mais sur la mission de l’Église qui est que tout homme, femme et enfant se sachent créés, aimés, sauvés par Dieu. Comment montrer par toute ma vie que le Seigneur est Vivant, pour tous ? Non pas
seulement « moi », mais en nous, en chacun de nous, autour de nous ? J’ai compris que ma vocation était une mise à disposition de la Présence du Seigneur en moi, que l’élan du jaillissement de ma première Joie de me sentir « appelée » et élue, n’était pas seulement la mienne, mais la sienne. Il m’a révélé qu’il est cette Force indomptable, véhémente et douce sur laquelle nous pouvons nous reposer avec confiance et assurance car Lui ne faillira jamais, car Lui est fidèle, car lui ré-interprétera cet enthousiasme originel, et qu’Il est avec moi, avec nous « tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28,20).
01 Seigneur, je n’ai pas le cœur fier ni le regard ambitieux ; *
je ne poursuis ni grands desseins, ni merveilles qui me dépassent.
02 Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; *
mon âme est en moi comme un enfant,
comme un petit enfant contre sa mère.
03 Attends le Seigneur, Israël, *
maintenant et à jamais. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, Amen !
Ps : Pour les curieux, ce « gentil » prêtre du psaume 130, est devenu au fil des années, un Ami dans le Seigneur, une personne fiable, source et ressource, à qui j’ai partagé ce témoignage. Dieu continue son œuvre aussi entre nous ! Alléluia !
Un commentaire