Traversant l’espace, tu me rétro-jettes dans le temps de l’autre dès que je te déplie. On parle du voyage dans le temps comme si ce n’était que de la fiction alors qu’il s’agit d’une expérience que chacun peut faire avec toi.
Celui qui t’adresse se recueille, se rassemble, et demeure, pour un temps, dans les mots et dans le papier destiné à les porter. On t’ouvre et tout est là : le papier, les mots et celui qui les envoie. Tout est là, le temps pris pour t’écrire et la manière de le traverser, de lutter peut-être contre lui ou de l’épouser, la manière de se faire l’intime de ce temps.
Pour ma part, parfois j’ai l’impression que tu ne portes rien, que ton sein est vide et stérile, de la stérilité de celui qui s’est refusé à toi pour se refuser à moi, quand bien même il a pris la peine de t’envoyer.
D’autres fois, tu me surprends par ton contenu, tu me bouscules, tu me réconfortes, tu m’inondes de ta lumière et tu me réconcilies avec l’humanité et son histoire. Je découvre ensuite que tout cela n’était que l’effet d’une liberté humaine qui ne s’est pas refusée à l’épreuve du don.
D’autres fois encore, tu m’interroges, tu m’intrigues, tu ouvres devant moi un nouvel espace que j’aurais à apprivoiser et de nouvelles questions à se poser.
Et pour finir, parfois, tu m’exaspères, tu me mets hors de moi, tu me propulses malgré moi dans l’obscurité d’une cave, celle du mensonge, de la perversion, de l’orgueil et du mal. Comment me libérer dans de telles situations de ce que j’aurais préféré n’avoir jamais lu ? Comment me libérer de toi lorsque ton auteur est prisonnier et qu’il te transforme en prison pour enfermer ainsi avec lui tout destinataire ?
J’aurais aimé trouver pour ces occasions une pommade que je puisse mettre sur mon esprit et sur mon corps et qui serait capable, comme par magie, de t’effacer. Mais, hélas, je sais depuis assez longtemps qu’une telle pommade n’existe nulle part, et que ma libération se blottit dans ma réponse, dans une réponse dont je suis responsable et qui est toujours difficile. Je me dérobe souvent à une telle réponse, tu le sais, et je demeure prisonnière.
Alors, prends garde ! Arrête-toi un instant en chemin et pose-toi la question : faudrait-il que je poursuive ma route ? Et, malgré cette fameuse conviction qui dit qu’une lettre arrive toujours à son destinataire, si tu as le moindre soupçon que par ton apparition tu risques de faire de moi l’otage de tes mots, je préfèrerais que tu te fasses de toi-même tomber dans le vide, avant d’aboutir à mes yeux. Par contre, lorsque tu sens en toi un air de liberté, de respect, de vérité et d’amour, n’hésite pas à te livrer, viens à ma table, et naviguons ensemble, autant de fois que nous le voudrions, vers le temps de ton auteur…
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