On te prend souvent pour le sauveur ! Tu donnes un pouvoir à celui qui te possède, un pouvoir qui n’est pas négligeable, celui de nous procurer le nécessaire, de nous protéger de la misère, de nous couvrir et d’être dans la dignité, de nous nourrir, de nous faire plaisir, et, aussi, de faire plaisir aux autres, de subvenir à leurs besoins et de les vêtir quelque part de tendresse, d’amour et de sérénité. Grâce à toi nous pouvons aussi nous réchauffer, nous déplacer, nous former et nous divertir.
Personne ne peut deviner que tu as aussi, comme tout objet, la possibilité d’acquérir une valeur qui te distinguerait à tout jamais des autres billets ! Tout dépend des occasions que te présenterait la vie.
Je vais te raconter une histoire : j’avais rencontré, il y a déjà presque une douzaine d’année, un billet, qui te ressemblait d’ailleurs, qui savait qu’il avait désormais une valeur inestimable. Il raconte comment, en un instant, il était devenu à la fois très précieux et sans aucun pouvoir d’achat :
Il avait appartenu dans le temps à un homme qui l’avait longtemps oublié dans sa poche, à côté d’autres billets, beaucoup plus recherchés que lui et qui étaient tout neufs. Un jour, il entendait de son coin la voix d’une femme, une voix qui lui plaisait bien. Assez rapidement, il s’était aperçu, grâce à l’attitude de son propriétaire, à la chaleur de son corps et à ses mouvements, que cette voix faisait vibrer toutes les cordes de son maître. Puis, un mouvement assez brusque le sortait de son attention. Réalisant que c’était sa dernière minute dans cette poche-là, il avait eu à peine le temps de se protéger du courant d’air avant de sentir, rien qu’en touchant la main qui le prenait de son ancien propriétaire, qu’un nouveau sang coulait dans ses veines. Du nouveau coulait en lui et il entendait même parler la peau de sa maîtresse. Il savait qu’il n’était qu’un billet d’argent, mais il avait pris conscience que, pour la personne à la belle voix, il était devenu autre. Rien que parce qu’il appartenait à son ancien maître, il s’était converti à ses yeux en une note de musique, en récit, en une lettre chargée de tous les mots qui auraient pu être échangés entre ses deux propriétaires, en une prière…
Avec le temps, sa nouvelle héritière le tenant toujours près de son cœur, il avait appris à traduire les mouvements de ce cœur, ses aspirations, ses attentes, ses douceurs et ses douleurs. Il avait perdu tout pouvoir d’achat mais il avait désormais une histoire, deux noms, deux visages, deux voix, deux cœurs, deux mains et… deux poches. »
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