En cette « fête des Rois », me revient à l’esprit une comptine de Noël que me fredonnait ma grand-mère, en espagnol, car nous étions des immigrés au Maroc… Je vous la traduis approximativement mais sans la trahir :
« L’enfant est là, né dans la porterie…
St Joseph tient un atelier et la concierge, c’est Marie.
Viennent sages et docteurs pour le consulter sur leurs doutes ;
L’enfant, lui, sait tout ; il leur répond de son berceau :
‘Que s’approchent les bergers : qu’ils me divertissent un peu !
Que s’approchent les humbles ; que s’éloignent les bigots !
Qu’entre Marie-Madeleine, que vienne St Augustin.
Que les Rois Mages attendent : je vais leur écrire un mot’… ».
J’entends d’ici les exégètes érudits tenter de m’expliquer patiemment qu’ils n’étaient pas « rois », ces trois voyageurs de pays étranges, mais de très sages savants à la recherche de la vérité… Que le récit de Matthieu (2, 1-12) s’inscrit dans une perspective universaliste… Bien sûr ! Mais rien ne fera disparaître, dans l’esprit des gens et dans la pratique commune, couronnes, galettes et cadeaux somptueux que l’on déploie pour cette fête…
Je ne peux m’empêcher de penser que l’environnement tellement insignifiant de la naissance de Jésus, l’absence des grands de son monde (chefs religieux, rois et gouverneurs, docteurs de la Loi) nous gêne tellement qu’il a fallu que des têtes dûment couronnées, même des puissants étrangers, le reconnaissent. Nous pouvons ainsi respirer un peu : l’événement le plus décisif de l’histoire des chrétiens, à savoir l’incarnation du Verbe, a reçu une forme d’allégeance du pouvoir de ce monde !
Par chance, l’évangéliste Matthieu n’était pas un érudit et il nous conduit « par un autre chemin », nous donnant plusieurs « signes » à déchiffrer à travers cette « visite des Mages venus d’Orient ».
Premier « signe » : savoir lever les yeux pour découvrir l’étoile. Jusque-là, ces sages marchaient la tête encapuchonnée dans leur savoir ; ils étaient aveuglés par leurs connaissances livresques, puisqu’ils cherchaient un roi selon les critères mondains, sans doute dans un palais présidentiel… L’étoile les a conduits vers la demeure insignifiante où Dieu venait d’élire domicile ! Et ils ont su s’émerveiller !
Deuxième signe : ils n’ont pas dissimulé, saisis de confusion, leurs étonnants présents – l’or, l’encens et la myrrhe – mais ils ont ouvert leurs cassettes et déchiffré enfin le sens de leur quête.
Ils ont reconnu en cet enfant vulnérable et pauvre, si différent du prince qu’ils voulaient honorer, l’Autre-Roi, la royauté de l’autre, de tout autre, à saluer et à servir. Offrande de l’or.
L’encens symbolise la prière et l’adoration. Ils ont discerné la gloire de l’humble quotidien, cet espace des communions de la vie où Dieu se tient caché sous le voile de la chair fragile.
Enfin, voici l’offrande de la myrrhe : baume précieux d’Arabie, on l’utilise pour les noces et l’ensevelissement. Ils ont reconnu dans le dénuement de ce tout-petit la grâce des noces de l’Alliance qui conduirait Jésus jusqu’au don de la Croix…
Et si, entraînés par la phobie du gouvernement d’un grand pays européen, nous allions saisir à nos frontières bijoux et objets de valeurs de ces migrants étrangers… Peut-être serions-nous privés de présents qu’ils pourraient nous offrir, c’est-à-dire eux-mêmes, et qui nous révèleraient notre véritable identité !
Corrigeons donc l’impertinence de cette comptine :
Qu’entrent donc les Mages, sans savoir et sans couronnes. Qu’ils déposent aux pieds de l’Enfant démuni leurs présents prophétiques : ils ont suivi l’étoile ; se sont laissés surprendre et sont rentrés chez eux par des chemins inconnus…
Sr Frédérique, le Caire
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