Contempler le Christ « Jardinier »
Le cœur humain, un jardin où Dieu veut prendre ses délices
« Voici maintenant une comparaison qui se présente à moi. (…) Celui qui débute considèrera attentivement qu’il va préparer, dans un terrain très ingrat et rempli de très mauvaises herbes, un jardin où le Seigneur puisse prendre ses délices. Il me semble qu’il y a quatre manières d’arroser un jardin. D’abord en tirant l’eau d’un puits à force de bras, ce qui exige une grande fatigue de notre part. Ou bien, en tournant, à l’aide d’une manivelle, une noria garnie de godets, comme je l’ai fait moi-même quelquefois : avec moins de travail, on puise une plus grande quantité d’eau. Ou bien en amenant l’eau soit d’une rivière, soit d’un ruisseau : la terre est alors mieux arrosée et mieux détrempée ; il n’est pas nécessaire d’arroser aussi fréquemment, et le jardinier a beaucoup moins de travail. Enfin, il y a la pluie abondante : c’est le Seigneur qui arrose alors sans aucun travail de notre part, et ce mode d’arrosage est, sans comparaison, supérieur à tous ceux dont nous avons parlé » (Vie 11, 6-8)
Si nous comparons avec la progression de « demeures en demeures » du Château intérieur, nous réalisons que ces eaux différentes correspondent à un passage, une traversée de la voie ascétique à la voie mystique. L’image qui vient alors à l’esprit de Thérèse est celle du ver à soie qui doit mourir pour donner naissance au papillon (Château V, 2, 1, 8) ; et elle cite alors un texte fondamental de la Lettre aux Colossiens 3,3-4 : « Vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu ; quand paraîtra le Christ, votre vie, vous serez manifestés avec lui, pleins de gloire. »
Dans le chapitre de la Vie que nous lisons maintenant, nous pouvons déceler trois ressorts de cette traversée pascale.
La détermination thérésienne ou le courage d’être soi
« C’est un grand effet de sa miséricorde que de donner à une âme la grâce et le courage de se décider à poursuivre avec une détermination énergique la conquête d’un si haut bienfait ».
(Vie 11, 4)
Comment approcher cette « détermination très déterminée », propre à Thérèse. Le courage est possible si la liberté se possède elle-même, si elle tient fermement dans une affirmation de soi face aux tentations qui tentent de nier l’être de promesse que nous sommes. La foi personnelle qui implique l’engagement total de la volonté dans une confiance absolue est nécessaire pour tenir dans cette dynamique du courage.
La libération de la peur ou l’expérience d’une mort traversée
« En réalité, la peur est bientôt bannie si, dans ce premier état, nous marchons comme il faut ». (Vie 11, 1)
Quelles sont les conditions thérésiennes de la marche ? Une connaissance de soi qui mette au premier plan de la conscience, non pas la peur de se perdre soi-même, mais l’assurance d’une liberté unique qui grandit et s’affermit dans le don et l’abandon de soi : tel est l’espace originaire de la « détermination ». L’expérience fondatrice est christique : Jésus incarne dans son humanité, en actes et paroles, une telle liberté : « Ma vie nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne ; j’ai le pouvoir de la donner et de la reprendre » (Jn 10,18). C’est le don qui structure de part en part l’identité filiale de Jésus, dans la confiance et d’être porté toujours par le Père donateur de vie surabondante. « Marcher comme il faut », c’est marcher en Lui. L’oraison thérésienne est fondée dans cette expérience : « Le chemin que le Christ a frayé, est celui où doivent passer ceux qui le suivent, sous peine de se perdre » (Vie 11, 5).
Le dessaisissement de soi, consentement à ce qui vient
« Nous ne sommes plus à nous mais à Dieu. Là, nous sommes près de lui, le Maître du jardin, car, n’en doutons pas, il est près de nous. Si nous voulons jouir de la liberté d’esprit et ne point vivre sans cesse au milieu des angoisses, commençons par ne point redouter la croix » (Vie 11, 13.18).
La détermination thérésienne fondée dans l’expérience du Christ pascal est source du mouvement de sortie de soi qui marque le passage de la méditation à la contemplation : c’est la capacité de déposer librement sa vie entre les mains d’un Autre, dont nous savons qu’il nous aime. Capacité aussi de la recevoir dans un échange de pure gratuité. Nous entrons alors vraiment dans l’espérance d’un don qui dépasse tout et qui rend possible le risque de perdre radicalement sa vie pour l’autre.
La comparaison des quatre eaux, dans laquelle Thérèse figure l’expérience de l’oraison dans la durée, est une image du dessaisissement de notre propre avancée spirituelle. Comme priants nous sommes dépossédés progressivement de tous les appuis extérieurs à partir desquels nous voulions réaliser notre propre sainteté réaliser : c’est peut-être cela la solitude pleine des Septièmes Demeures, le merveilleux silence, où l’on peut éprouver le poids de son propre choix libre et en même temps prendre conscience d’être habité par un don qui nous construit et nous traverse, comme à l’obscur…
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