Il n’est pas anodin d’aborder la fin de ce chapitre avec la figure de Jean Soreth. Prieur général du Carmel au XIVième siècle, il en fut un réformateur. D’une part, il a innové en ouvrant l’Ordre aux femmes et aux laïcs, si je puis dire au risque d’être un peu démagogique, c’est-à-dire en favorisant le développement d’une branche féminine – les carmelines appelées ensuite carmélites – et le Tiers-Ordre. D’autre part, il a dynamisé l’Ordre en encourageant une vie religieuse plus vigoureuse et essentielle, en favorisant par exemple des couvents réformés ou en commentant la Règle du Carmel. Parler de réforme au Carmel est délicat. Il y a toujours eu des réformes dans la vie religieuse et donc au Carmel : Jean Soreth en est un bel exemple ; plus tard Jean de Saint Samson avec la réforme de Touraine en fut un autre. Mais Thérèse d’Avila a-t-elle réformé l’Ordre ou fondé un nouvel Ordre ? Le mot « réforme » est en effet quasiment absent de son vocabulaire (Thérèse innove donc avec sa fameuse « nouvelle manière de procéder ») mais son geste est bien celui de vivre selon la Règle du Carmel, règle qu’elle n’a pas inventée (Thérèse réforme ou reforme) : « nova et vetera » dit l’évangile de ce jour. La liturgie vient donc à propos pour stimuler votre travail capitulaire dans son rôle, peut-être plus modeste (pour six années) mais non moins important de rénovation et de stimulation de votre Congrégation.
Les riches images du potier et du filet invitent toutes deux à un travail de tri et d’évaluation selon deux critères : le bien et le mal ou le méchant et le juste autrement dit ce qui est bon et ce qui ne l’est pas ; le nouveau et l’ancien, avec l’exigence du renouvellement et de la fidélité au risque du conflit herméneutique plus ou moins inévitable entre la continuité et la rupture. Notons à ce propos que si la première interprétation de l’image du filet tri et donc jette ce qui n’est pas bon (herméneutique de la rupture), la seconde interprétation tire et donc allie davantage l’ancien et le nouveau (herméneutique de la continuité). Nous pourrions ajouter un troisième critère : celui de la pertinence, c’est-à-dire repérer ce qui est le plus essentiel et le plus urgent dans un contexte donné. C’est ce travail de discernement qui vous a conduites durant ce chapitre et dont les actes continueront de stimuler vos communautés.
Je voudrais terminer par trois remarques. D’abord, les images sont inépuisables : celle du potier pourrait rejoindre celle, déjà rencontrée, du vase d’argile de Paul et celle du filet se trouve interprétée de deux manières dans notre évangile. Dès lors, la réponse ‘oui’ des disciples à la question « Avez-vous compris ? » peut sembler aussi hardie que celle de Jean et Jacques répondant : « nous le pouvons » ! Une image dépasse toujours la compréhension et celles qui habitent vos actes capitulaires vous inspireront au-delà de ce que vous pouvez y en dire. Deuxièmement, le temps (kairos) du tri est selon l’évangile celui de la fin des temps. Attention à notre impatience. Votre travail capitulaire n’est pas eschatologique ni définitif. C’est une simple – mais significative – balise pour les six ans à venir. Enfin, selon l’image du potier, c’est Dieu qui façonne et redonne forme, reforme et rénove : à nous de commencer toujours et d’être fondement mais croyons que c’est lui qui continue son œuvre, avec amour. L’amour, quatrième critère de cette homélie, mais le grand et l’ultime critère de toutes nos réformes et réformations ! Amen
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