La vie dans la mort
« Elle est debout près de la Croix » chantons-nous dans le Stabat Mater ; « debout » signifiant « vivante ». Non pas que la Mère de Jésus soit plus forte, plus détachée, plus impassible que nous autres si fragiles … mais, c’est à l’ombre de la Croix, qu’elle reçoit la vie d’un nouveau fils et qu’elle va apprendre à être la mère d’une multitude.
J’aime la lecture des douleurs de la Vierge que fait le Maître de Rohan, dans son Livre des Heures, parce que la mère de Jésus y est très humaine, vraiment accablée et douloureuse … et pourtant, d’une certaine façon, toujours debout.
On peut y voir sur fond de nuit bleue cobalt, le scintillement d’étoiles et d’ailes d’anges dorés, comme un manteau de miséricorde sur quatre personnages, ordonnés en rayons et formant en demi-cercle, un éventail de la posture allongée à la position debout, du sol au ciel, couché sur la terre à assis dans la gloire des Cieux, de mort à vivant. Tout un dégradé d’attitudes, celle de l’homme et du divin se rencontrant.
La scène se situe juste après la déposition de la croix, juste après les dernières paroles de Jésus : « Femme, voici ton fils » (v.26) et « Voici ta mère » (v.27), deux courtes sentences qui vont arracher et projeter la mère et le nouveau fils, dans un avenir de vie et de fécondité.
La position basse est celle du fils, mort et couché à même la terre, yeux clos, corps abîmé d’où le sang coule, assumant son humanité dans le mystère de son Incarnation, jusqu’au bout.
Puis, se tient la mère flageolante, le visage tournée vers la mort, les bras ballants et impuissants à essayer de retenir la vie, à la mort qui lui vole son fils premier né.
Derrière la mère de Jésus, se tient le disciple, la retenant de toutes ses forces, le visage résolument tourné vers la vie, à la manière d’Étienne contemplant, dans les cieux ouverts, la gloire du Fils assis à la droite du Père. Que certains lisent dans son regard des reproches, du mécontentement ou du défi, peu importe, le disciple est dans la bonne direction.
Le dernier visage terminant la composition est celui du Père Créateur et miséricordieux, tenant la terre de sa main gauche, et bénissant de sa main droite, scrutant la terre et les drames des hommes : « j’ai vu la misère de mon peuple » (Ex 3,7).
La Croix, plantée au beau milieu de la composition, comme un cinquième personnage, tient tout l’équilibre de cette dynamique. Elle seule se tient « debout », parfaitement verticale, dans un équilibre stable par son montant horizontal, parallèle au corps couché du Christ. Parfaitement horizontale et parfaitement verticale, elle est, à la fois, ces deux mouvements, assumant mort et vie, ténèbres et lumière, souffrance et grâce, et autorisant de ce fait, toutes les expressions de la désespérance à l’espérance, par son éclatante victoire qui semble murmurer : « dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde » (Jn 16,33).
La mère reste debout, par ses Fils : par la parole du Fils unique, par la compassion du disciple, serviteur de la miséricorde, soulevant sa mère ployant sous le fardeau et la prenant, à cette Heure, chez lui.
« En toute circonstance, nous sommes dans la détresse, mais sans être angoissés ; nous sommes déconcertés, mais non désemparés ; nous sommes pourchassés, mais non pas abandonnés ; terrassés, mais non pas anéantis. Toujours nous portons, dans notre corps, la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre corps. » (2Co 4,8-10).
Un commentaire
JÉSUS, VOYANT SA MÈRE, ET PRÈS D’ELLE LE DISCIPLE QU’IL AIMAIT, DIT À SA MÈRE : « FEMME, VOICI TON FILS. » ET AU DISCIPLE : « VOICI TA MÈRE. » DÈS CET INSTANT, LE DISCIPLE LA PRIT CHEZ LUI (Jn 19, 25-27). Alors qu’IL a passé sa vie à faire le bien, à guérir les malades, nourrir les affamés, ressusciter les morts, voici JÉSUS, Fils de DIEU, Fils de MARIE, cloué sur la croix, abandonné par tous, rejeté par les siens. Les mains et les pieds sont cloués sur le bois du supplice, le côté est transpercé par une épée : on peut clouer la chair, mais pas l’amour ; on peut transpercer le côté, mais pas la miséricorde ; on peut diviser les vêtements ou les tirer au sort, mais le cœur de DIEU ne peut être divisé. JÉSUS qui avait ressuscité le fils unique d’une femme restée veuve, sait ce que c’est que souffrir et être impuissant devant la mort d’un fils. Et pour MARIE, il n’y a pas de douleur plus grande que la mort d’un être cher, plus encore un fils unique, l’espérance d’un peuple. Cela peut se lire dans ses douleurs au pied de la croix : voir mourir son fils, humilié par les hommes, simplement pour avoir prêché l’amour, le pardon, la miséricorde et pour avoir dénoncé le mal. Les douleurs de MARIE ne sont plus seulement liées à la perte de son Fils, mais aussi face à tous ceux qui avaient mis leurs espoirs en son Fils, et qui désormais restent sans berger, sans consolateur, sans pasteur. Comme mère pleine de foi, d’espérance et d’amour, MARIE a appris à aimer ceux que son Fils aimait, mais elle a aussi appris à supporter tant de douleurs et à méditer tous ces évènements dans son cœur. Après la prophétie du vieillard Siméon, la fuite en Egypte, la disparition de JÉSUS au Temple pendant trois jours, la rencontre de JÉSUS portant sa croix, voici MARIE debout au pied de la croix. Elle sera encore témoin de la descente de son Fils de la croix, lequel Fils lui sera remis, avant d’être enseveli dans le sépulcre. Mais, l’amour ne meurt jamais, malgré la douleur, les blessures et les souffrances de la passion. Le Fils ne voulant pas laisser sa mère seule, Lui confie le disciple qu’IL aimait comme un frère, afin que l’amour de la mère demeure, ou plutôt s’étende à tous ceux que le Fils porte dans son cœur, c’est-à-dire à toute l’humanité entière. Dès lors, les douleurs d’une mère ne peuvent être apaisées et consolées que par l’amour. Et c’est dans ce même amour que MARIE console tous ceux qui se réfugient en elle. Bonne journée de méditation et de travail
Abbé ACHILLE KANDI, Archidiocèse de Bertoua