Voir et toucher
« Quant à L’incrédulité de saint Thomas du Caravage, où le disciple met son doigt dans la plaie du Christ, elle offre, pour moi, un spectaculaire résumé de l’œil occidental, tel qu’il s’est fabriqué à partir du récit chrétien de l’Incarnation » (Jérôme Zonder, dessinateur, La Croix du jeudi 21 juin 2018, p.25).
D’une main, Jésus entrouvre sa tunique, comme on écarterait un voile, pour révéler ce qui était caché. « Le rideau du Sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas. Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, déclara : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! » » (Mc 15,38-39). Jésus vient au devant de la détresse de son disciple, il appelle sa confession, il appelle Thomas à le reconnaître : « Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » » (v.28). Oui, Jésus Christ est le Dieu caché… mais toujours en recherche de sa créature.
De son autre main, et d’une poignée ferme, Jésus guide la main de Thomas dans son côté béant et noir, l’initiant au mystère du non-voir. Thomas se laisse faire, son doigt prisonnier. Car ce sont surtout ses yeux « qui touchent » la plaie, essayant de pénétrer le mystère et le sens, de cette trace de la Passion – Résurrection du Christ.
Toute la force de ce geste et de ce tableau tient au voir, car se sont tous les regards des personnages qui convergent et se focalisent sur la plaie du Christ qui ne nous montre rien d’autre qu’une plaie morte, qu’un vide, qu’une vacance sombre.
Malgré le toucher physique et le toucher visuel, la chair du Christ échappe à toute main mise… , celle de Thomas lui-même passif en son geste et dérouté. Son front plissé renvoie les spectateurs que nous sommes à la même interrogation : pourquoi n’ai-je pas vu, pas touché le Christ comme les dix autres ??? Interrogation revendicative, encore plus vraie aujourd’hui, où nos sens sont totalement soumis à la dictature totalisante du « tout voir et être vu », si chère à notre culture contemporaine hypra connectée.
Saint Jean fait le récit de cette rencontre, il nous donne à entendre. Le Caravage nous la donne à voir. Et nous entrons par l’un et l’autre dans la prière de désir : « Déchire la toile de cette douce rencontre ! | ¡rompe la tela de este dulce encuentro ! » (Jean de la Croix, Vive Flamme). Le priant et le croyant sont dessaisis de toute recherche de preuves : voir, toucher, peu leur importe… c’est être vus et être touchés par Jésus lui-même qui les anime et qui les fait marcher sur le chemin de la foi pure. La plaie noire mène forcément jusqu’au cœur… à la contemplation.
« […] je contemplerai son côté ouvert, de là j’irai jusqu’à son Cœur : que de grâce de conversion n’obtiendrons-nous pas toutes les deux ! Ne quittons plus ce poste d’amour ; tu sais, comme moi, que la Sainte Face et le Sacré Cœur sont deux dévotions inséparables » (Lettre de Léonie Martin à sa sœur Céline, 3 juillet 1899).
« Parce que tu m’as vu, tu crois.
Heureux ceux qui croient sans avoir vu » (v.29).
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