7 notes – celles d’une gamme- qui tentent de suggérer plutôt que d’affirmer, d’approcher l’interrogation répétée qui habite les yeux de Rembrandt :
1 – L’homme et le peintre… indissociablement
2 – Les autoportraits… une interrogation toujours répétée
3 – La vulnérabilité du paraître… Le regard blessé
4 – Une vie de prodigue … L’opacité
5 – Le franchissement du seuil… L’affranchissement
6 – L’avenir est à la tendresse … La suffisance de la grâce
7 – L’appartenance… Le dernier « autoportrait » de Rembrandt
Cet « homme quelconque » tellement semblable et tellement différent s’est peint ou gravé jusqu’à plus de 90 fois ! Il s’interroge : « Quid de l’individu, tantôt piètre, tantôt avantageux, qui ne vient à l’image que le temps de manifester combien il lui fait faux bond ? » et, devant l’inconnu qui lui échappe sans cesse, il se peint à nouveau. La réponse à la question, c’est une nouvelle toile !
Il s’essaye, il se cherche à travers grimaces, déguisements, fastes d’une vie de prodigue. Il ne peint jamais pour scruter son ego, ses états d’âme. Il ne « représente » jamais, il invente, il rend présent. En ses autoportraits ne transparaît qu’une émotion : l’effarement (1), l’étonnement porté à son comble devant l’énigme qu’est l’homme et qu’il y ait de l’homme.
… Rembrandt à l’heure du franchissement d’un seuil, alors qu’il s’affranchit et devient Rembrandt et que, libre, il innove, bouscule les conventions, réinvente le portrait.
… Rembrandt cheminant vers l’essentiel, allant se dépouillant, dénudé par la vie, par la mort si présente à sa vie.
… Rembrandt, à l’heure d’une certaine « faillite », d’une descente dans sa vérité au prix d’une agonie, d’une kénose, à l’heure de la grâce.
- Il mène en solitude un âpre combat d’homme à la manière de son « Jacob luttant avec l’ange » (2), un combat qui se révèle une étreinte divine. C’est désormais un homme blessé qui n’est plus maître de sa nuit, qui s’avance fort de la force d’un Autre dans une lumière d’éternité qui fait flamber ses dernières toiles comme des coulées d’or pur et de pourpre.
On est frappé par le contraste entre cette incandescence, cette tendresse et la gravité, l’austérité de ses derniers autoportraits.
Van Gogh l’avait compris qui s’exclamait devant « la fiancée juive » (3) : « Il faut être mort plusieurs fois pour peindre ainsi… de cette main de feu ». Seules, d’un pinceau trempé dans l’encre de la nuit, peuvent jaillir ces touches transfigurées, incandescentes.
- Jusqu’au bout ses yeux guettent, interrogent, cherchent mais comme le cadet de la parabole, ce prodigue qui se découvre fils dans les bras de son père (4) – son dernier « autoportrait » – n’a-t-il pas déjà « été trouvé » comme dit le texte de Luc ? Le mystère seul recèle la réponse à la question sans cesse reprise, une réponse qui ne clôt pas, toujours ouverte…
- Sur son chevalet au jour de sa mort, on a retrouvé le visage irradié du vieux « Siméon au Temple » (5), sa dernière toile… comme s’il nous léguait le secret de son regard :
- Seuls les yeux d’aveugle savent « voir » d’une vision tout intérieure autre que celle de l’œil braqué sur le monde des seules apparences et des seules ressemblances. Seul le regard pauvre est apte à recevoir parce qu’il sait qu’il ne sait pas. Seul le regard blessé sait deviner sous l’écorce fragile le fruit vulnérable.
- Jusqu’au bout Rembrandt se peint en acte de regarder. Jusqu’au bout il s’étonne devant cet ineffable d’être « un individu qui désire, regrette, médite, couve sa mort… » comme tout homme, comme tous les hommes.
- A Rembrandt, plus qu’à quiconque s’appliquent ces paroles du poète Yves Bonnefoy : « Dans chaque peinture – me semble-t-il – c’est comme si Dieu renonçait à finir le monde ».
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