Deuxième jour du Carême, première annonce de la passion dans l’évangile selon Luc. Que les événements vont vites ! Juste avant, l’impétueux Pierre, avec les autres disciples, avait été convoqué au secret après avoir confessé que Jésus était le Messie tant attendu. Pierre se serait-il trompé ? car, qui donc est réellement ce fils de l’homme? En effet, Jésus ne reprend pas ici, pour parler de lui-même, le terme de Messie, mais il utilise celui de « fils de l’homme ». Une habitude qu’il va prendre pour parler de lui-même en employant cette formulation quelques 80 fois ! Une habitude qui permet de souligner que le Messie n’est pas un individu solitaire mais il est ce « fils de l’Homme » qui n’est autre qu’un peuple ! un peuple qui est, selon Marie-Noëlle Thabut, « le corps du Christ ». Et ce n’est donc bien qu’ensemble, que nous pouvons devenir « justes », « saints ». Cette humanité du Christ nous saisit lorsque nous constatons qu’à ce fils de l’homme, la peur et la souffrance ne lui sont pas étrangères quand il avouera à ses disciples : « Mon âme est triste à mourir. » Il nous devient alors si proche, tout en nous guidant et en nous inspirant par son amour confiant envers son Père, notre Père.
Reste à comprendre cette annonce. Sommes-nous inévitablement destinés au tragique ? sinon à la souffrance, faite de privations et de renoncements ? Et néanmoins, le Seigneur nous invite à « choisir la vie » (cf. Dt 30, 19) ! Croirions-nous en un Dieu à double personnalité?! Cependant, c’est bien cela que Jésus annonce : Il doit souffrir par les autorités juives, bien qu’il soit, au terme, destiné à ressusciter. Pareillement, le vrai disciple passera aussi par la souffrance. Et dans l’évangile de Luc, Jésus précise que sa croix est à prendre «chaque jour ». Chaque jour. Pas forcément au terme de sa vie, mais quotidiennement. Autrement dit, pour un vrai disciple, il n’y a pas d’existence sans souffrance, et pour certains elle est le quotidien, croire le contraire serait une illusion, un mensonge !
La croix fait partie du programme, elle fait partie du programme du chrétien qu’il le veuille ou pas ! (ce n’est sans doute pas avec ce genre de programme qu’un politicien se ferait élire aujourd’hui comme hier !). C’est la vie ! mais une vie qui n’est pas que faite de cela bien que les médias parfois essayent de nous convaincre de l’inverse pour faire de l’Audimat ! oui, elle est également faite de ce bonheur d’être à l’écoute de la Parole, essayant de s’ajuster à elle et ainsi d’être « comme un arbre planté près d’un ruisseau, qui donne du fruit en son temps, et jamais son feuillage ne meurt… » cf. Ps 1, une saveur constituée de relations, de résurrection et de vie sous une chape qui semble bétonnée de désespoir et de mort !
Et comment mettre en pratique ce « programme » ? « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même et qu’il porte sa croix et me suive. » Marie Balmary nous fait savoir que nous sommes influencés par des siècles d’interprétation négative de ces paroles, cela est sans nul doute vrai, cependant plus vrai encore est le fait qu’est inscrit dans notre être en quête de bonheur une résistance à tout ce qui semble le contredire et la souffrance en fait bien partie. Bienheureuse résistance à tout ce qui ne nous tire pas du côté de la vie et qui nous fait buter sur ces paroles à relire en grec ! Si nous nous arrêtons d’abord sur le verbe « suivre » : le mot utilisé « akoloutheo » signifie « faire chemin avec », un mot qui a donné en français « acolyte » : c’est le compagnon de route. Quand on parle de compagnon de route, cela suppose deux personnes, deux sujets qui cheminent ensemble, en compagnonnage, des êtres en relation, qui ont peut-être, qui sait, quelque chose à apprendre l’un de l’autre. Un échange d’expérience duquel Jésus lui-même ne s’abstrait pas ! J’aime à contempler ce Jésus « un être de relations », un être en relation avec d’autres, avec moi…
Chaque disciple doit se dépouiller en partie, partager, être capable de quitter sa tranquillité, quand elle existe, pour se situer dans l’intranquillité de la relation à l’autre. Et cela exige des sacrifices. Quel sens aurait nos existences autrement ? Peut-être est-ce là que réside le sens de ce cheminement du carême ?
Aimer son prochain comme soi-même ne peut se faire sans cette charité active, qui a un coût pour celui qui l’exerce et ce coût est parfois très lourd à endosser, et peut coûter sa vie… tranquille !
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