Luc 9,28b-36.
Ce deuxième dimanche de Carême nous fait contempler le Seigneur « lumière et salut » (Cf. Ps 26), et ouvre notre cœur à ce grand désir de la « cité des cieux » (Cf. Ph 3,20). Dans l’Alliance de feu scellée avec Abraham (Gn 15,17-18), et la déclaration du Père à son Fils transfiguré : l’heure est encore aux révélations et aux manifestations extraordinaires. Mais, comment comprendre cette lumière divine aujourd’hui ? Est-il encore un temps pour les « transfigurations » ?
Pierre Soulages, Vitraux, Abbaye de Conques, Aveyron, 1987-1994
« Jésus prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, monta dans la montagne pour prier. Et pendant qu’il priait, l’aspect de son visage devint autre et son vêtement devint blanc, brillant comme un éclair. […] Survint une nuée qui les couvrait de son ombre, et de la nuée une voix se fit entendre : » Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le. . »
Pierre Soulages a réalisé, à la demande de l’état français, entre 1987 à 1994 : cent quatre vitraux pour l’abbaye Sainte-Foy de Conques en Aveyron. Cinq années de sa vie pour découvrir, après une patiente et méticuleuse recherche, une nouvelle façon de penser et de fabriquer le vitrail capteur et réflecteur de lumière. « J’ai cherché des variations de luminescence et j’ai trouvé le chromatisme. »
Pour Pierre Soulages, Aveyronnais, cette abbatiale ne lui est pas étrangère. Je pourrais même dire qu’il la porte en lui, qu’il en a une connaissance intime et personnelle, comme une prière. Elle est un lieu source, puisque c’est en la visitant avec un groupe scolaire en 1931 (il a douze ans) qu’il reçoit dans l’architecture romane, son appel à devenir peintre. C’est dans ces lignes pures et cette lumière, qu’il accueille sa vocation pour « ne pas passer sa vie à la perdre ». Il y a trouvé son essentiel, sa direction, son chemin de vie.
Cinquante ans plus tard, il bouleverse, avec l’aide des verriers de Saint-Gobain, l’art du vitrail en enrichissant son travail d’artiste, de cette nouvelle quête et de ses dessins de lumière.
Sur les photographies présentées, nous pouvons voir des vitraux réfléchissant pour les uns une couleur froide et bleutée et pour les autres une couleur chaude et orangée. Voilà sa découverte du chromatisme. En fonction de la lumière du jour qui joue avec et dans l’architecture selon les différentes heures et le temps qu’il fait, le vitrail n’interrompt jamais sa symphonie de couleurs. Il vit, il change, il module, captant et renvoyant ce qu’il reçoit.
Pierre Soulages est entré dans le jeu de la symbolique de la lumière propre à l’art roman. Que l’on soit à l’extérieur ou à l’intérieur de l’édifice, que la lumière soit chaude ou froide, c’est une subtile alliance entre le matériau « pierre » ou « verre » et la lumière elle-même.
Quant aux lignes de plomb, elles dansent et rythment le verre, créant une animation visuelle comme le fait (à sa façon) l’ordonnancement des pierres.
Comment les vitraux de Pierre Soulages me parlent-ils de la lumière divine et peuvent-ils entrer en résonance avec l’évangile de la transfiguration de Jésus ?
Tout d’abord, l’un et l’autre me parlent de prière. Luc la mentionne par deux fois : Jésus s’en alla pour prier et pendant qu’il priait eut lieu la manifestation surnaturelle. Á Conques, je perçois cette force de la prière dans le langage même de l’architecture et dans l’appel de 1931 qu’y reçut le petit Soulages. Les moines bâtisseurs ont construit la basilique comme révélateur de ce dialogue incessant entre le visible et l’invisible. Dans le travail concret du peintre, son désir de créer des vitraux opaques et non pas transparents qui auraient ouvert sur l’extérieur et distrait le regard. J’y retrouve comme pour la prière l’exigence de l’intériorité, loin des distractions et divertissements de toute sorte.
Et puis, il y a le dialogue entre l’ancien et le nouveau : dans l’évangile entre la loi (Moïse), les prophètes (Élie) et Jésus ; dans le travail de Pierre Soulages entre l’architecture du XIe siècle et l’artiste du XXe siècle.
Et enfin, il y a cette place principale accordée à la lumière et à ce mouvement du temps et de la vie : d’une part, l’intensité et la fugacité de la manifestation vécue par Jésus et dont les trois apôtres sont témoins ; et d’autre part, le jeu incessant de la lumière dans l’édifice à travers ses ouvertures. Pour l’un et l’autre, il y a mouvement, impermanence, alternance d’ombre et de lumière dont celle de la nuée qui vient tout recouvrir.
Sur la montagne que gravit Jésus avec ses disciples, comme dans la basilique, haut lieu de pèlerinage, a pu se dire une Parole. Est-elle toujours attendue ou entendue ? Il n’est plus alors question de spéculer sur le « grandissime éclair » (René Char), mais de tendre l’oreille à la Révélation d’Amour et de Salut qu’est Jésus : « Quand la voix eut retenti, on ne vit plus que Jésus seul. Les disciples gardèrent le silence et, de ce qu’ils avaient vu, ils ne dirent rien à personne à ce moment-là. »
Restons seuls avec lui, dans l’ombre ou la lumière de ce qu’il nous est donné de vivre pendant ce temps de Carême.
Pierre Soulages, Vitraux, Abbaye de Conques, Aveyron, 1987-1994.
-> Pour aller plus loin : Christian Heck et Pierre Soulages, Conques, Les vitraux de Soulages, Éditions du Seuil, 1994, 115 p.
« Loin de tout Moyen Age reconstitué, imité ou rêvé, j’ai cherché, avec des technologies de notre époque, un produit verrier en accord avec l’identité de cette architecture sacrée du XIe et de ses pouvoirs d’émotion artistique.
Dès le début, je n’ai été animé que par la volonté de servir l’architecture telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous en respectant la pureté des lignes et des proportions, les modulations des tons de la pierre, l’ordonnance de la lumière, la vie d’un espace si particulier. Le but de ma recherche a été de les donner à voir.
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