Nous découvrons aujourd’hui un beau dialogue – dialogue essentiel – entre un scribe et Jésus. Quelle est son intention alors qu’il prend l’initiative d’interroger Jésus ? Le texte ne le dit pas. Mais nous savons que cet homme vient d’assister à un échange pour le moins tendu entre Jésus et les Sadducéens, quasiment sous le mode d’une question parlementaire en provenance de l’opposition, alors que les Sadducéens interpellent Jésus sur la résurrection des morts à laquelle ils ne croient pas. Peut-être a-t-il aussi entendu la réponse de Jésus aux Pharisiens et Hérodiens sur le sujet plus temporel de l’impôt dû – ou non – à César. A ses yeux en tous cas, Jésus a « bien répondu », alors qu’il renvoie les uns et les autres à leur questionnement mal intentionné (Mc 12, 15) ou indigne de qui connait les Ecritures et la puissance de Dieu (v 24).
Avec cet a priori favorable, le moment est venu pour notre scribe de poser à Jésus la question qui est la sienne : « Quel est le premier de tous les commandements ? ». Existait-il une réponse objective qui allait de soi pour tout juif au regard des 613 commandements ? Pourquoi la question dans ce cas ? Quoi qu’il en soit, le « premier commandement » cité par Jésus rejoint l’affirmation monothéiste qui est au cœur de la prière quotidienne de tout juif pieux (Shema Israël… Dt 6, 4-9). Et Jésus ne manque aucune occasion pour mener plus loin, plus haut, ceux et celles qui l’interpellent !
Tu me demandes quel est le premier de tous les commandements ? Je te dirai aussi le second ! « Tu aimerais ton prochain comme toi-même ». Autre réponse à une question non posée ? En fait non…car Jésus ajoute « Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là » (v 31). Et l’un, et l’autre commandement n’en font plus qu’un.
Pas d’amour de Dieu sans amour du prochain, pas d’amour de l’autre sans amour de l’Autre. Voilà la nouveauté avec Jésus, accueillie à cette hauteur par le scribe. Car sa réponse semble une véritable relecture de la tradition à laquelle il appartient, avec un déplacement notoire. En effet, s’il interrogeait Jésus sur « le premier de tous les commandements » (questionnement à propos de « La » Loi), il reformule la réponse de Jésus en des termes qui l’engagent (au-delà de la Loi ?) dans une relation singulière au Dieu unique : « Tu as eu raison de dire qu’Il est unique et qu’il n’y en a pas d’autre que Lui ; l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer le prochain comme soi-même, vaut mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices. ». Il n’est plus question ici uniquement du premier commandement des commandements, mais de la relation au Dieu unique et au prochain, dont l’amour vaut mieux que tous les sacrifices. Passage d’une logique du mérite (« je » fais des holocaustes et des sacrifices) à une logique de dé-maîtrise : aimer, quoi qu’il en coûte.
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