Marc 6, 7-13

Profil de poste d’un missionnaire ou la spiritualité du « peu »…

Bien que nous pourrions nous lancer dans un exercice de comparaison entre les différentes versions que donnent les évangiles synoptiques de cet envoi des apôtres par Jésus, il serait intéressant de voir dans la version de l’évangéliste Marc, quel serait « le profil de poste » ou le portrait-robot d’un missionnaire selon le cœur du Seigneur. On pourrait comprendre pourquoi « les ouvriers sont [si] peu nombreux » vu les exigences que pose Jésus à ceux qu’il envoi ! Cependant, il est bon d’entendre la Madre Thérèse de Jésus nous redire « […] personne, après l’avoir choisi comme ami [Jésus], n’a été abandonné par Lui ». N’est-ce pas cela que nous redécouvrons dans ce passage d’évangile ?

Aussi, qu’est-ce que « choisir » de répondre à l’appel de Jésus-Christ et « consentir » à être envoyé vers nos frères et sœurs en humanité ?

Ecouter cet appel au présent de notre vie :

Comme de coutume, notre évangéliste marque ce moment solennel de cet envoi de ses disciples par Jésus avec le verbe « appeler » conjugué au présent. Il est étonnant de constater comment l’appel du Seigneur et son envoi sont toujours au présent, contemporains de nos quotidiens, jamais révolus ou à reléguer dans le passé au risque de de ne plus faire partie de nos existences. La foi, pour demeurer vivante, se doit d’être nourrie par la Bonne Nouvelle au présent. « Il se mit à les envoyer » ou l’on pourrait dire qu’il « commença à les envoyer » ; aucun mot n’est superflu chez l’écrivain biblique; Marc indique par là le point de départ d’une mission qui devrait se perpétuer et s’étendre à la vie entière des apôtres et donc à celle de tout disciple dont nous sommes. Intéressant de voir dans un même mouvement : un appel et un envoi pour une écoute et une mise en mouvement !

Recevoir des « pouvoirs » comme un don :

« Il y a quelque chose de plus grand que de prêcher, c’est de faire des prédicateurs ; il y a quelque chose de plus grand que de faire des miracles, c’est de communiquer le pouvoir d’en faire » (Cf. Frédéric Louis Godet, pasteur). Ainsi, non seulement Jésus donne à ses disciples, qu’il envoi, le          « … pouvoir sur les esprits impurs » mais aussi celui de « chasser beaucoup de démons et faire des onctions d’huile à de nombreux infirmes et les guérir ». Le Seigneur n’envoi jamais sans donner de quoi accomplir la mission bien que comment cela se fait-il demeure un mystère.

Accepter un nécessaire compagnonnage :

Jésus envoi ses disciples « deux à deux », ce trait est particulier à l’évangile de Marc, il faudra dès le départ à tout disciple de Jésus accepter le compagnonnage, le travail d’équipe, le travail collaboratif ou synodale en somme ! Il s’agit d’une mesure de sagesse et d’amour de la part du Seigneur car, par-là, il s’accommode à la faiblesse de ses disciples, il répond aux besoins profonds de leur humanité, il prévient les dangers de l’isolement et ceux d’une domination personnelle et exclusive dans leur mission, d’une appropriation de leur œuvre.

En entrant dans un style de vie du « peu » :

« La foi est une sécurité, mais uniquement pour ceux qui acceptent l’aventure avec Dieu » disait le P. Jean Lévêque. Ne serait-ce pas cela que Jésus dessine dans son énumération du « peu » dont a besoin celui qu’il appelle et envoi travailler à l’évènement de son Royaume ?

Cette référence au « peu » est selon Ruth Burrows ce à quoi St Jean de la Croix veut nous mener. « Pour Jean de la Croix, celui qui veut Dieu, celui qui veut commencer l’ascension de la montagne, celui-là doit lutter contre le sentiment de sa propre importance. Il faut quitter le centre de la scène, se voir désormais comme membre d’une famille ou d’une communauté, et se mettre à son service […] » pour cela « prenons le mot « peu ». Pensez peu de vous-mêmes, et soyez heureux que les autres ne vous attachent pas beaucoup d’importance. Ayez une opinion faible de vous-même, non pas dans le sens d’une auto-dépréciation malsaine, mais au sens où vous ne vous considérez pas comme le centre du monde. Dans le silence de votre cœur, ayez soin de toujours corriger l’attitude naturelle, qui est l’inverse. Rappelez-vous que les autres sont plus importants que vous, que leur bien-être est plus important que la satisfaction de votre égo. Et que vos actes confirment cette vérité. N’exigez pas que les circonstances changent pour votre convenance, ne vous employez pas à contrôler les évènements pour votre seul avantage. Voyez en vous le serviteur de votre prochain ». (cf. La montée vers l’amour, pg 81 de Ruth Burrows).

 

Les uniques nécessaires… un bâton, une ceinture, une paire de sandales et une tunique :

  • Une spiritualité d’ « agent de libération » :

Le terme de « bâton » ici vient d’un verbe qui veut dire               « s’appuyer ». C’est donc d’un appui qu’il est question. Cet appui qui vient de Dieu peut se donner de deux manières. D’abord quand il y a risque de chanceler, ou de faiblir, en Dieu, il est possible de trouver une force, un réconfort. Et il est aussi un appui, parce qu’il est le point fixe de la vie du disciple : dans une existence, tout peut être perdu du jour au lendemain, la santé, la situation matérielle, ce que l’on posséde, la présence de ceux que nous aimons… Rien n’est définitif, sauf la présence de Dieu, il est le roc, la forteresse. Et en accrochant sa vie à cette présence d’amour indestructible, le disciple fonde sa vie sur une base inébranlable. Ainsi cet appui c’est cet Evangile qui est comme un repère, à partir duquel chacun/chacune peut se situer. Chacune de nos vies peuvent ainsi s’écrire avec souplesse grâce à ce pivot stable et fort qu’est la Parole de Dieu. On pourrait penser à cette affirmation de Newton : « donnez-moi un point d’appui, et je soulèverai le monde ». Avec ce point d’appui qu’est l’Evangile, chaque disciple peut soulever et transporter des montagnes !

Certes, ce bâton peut aussi désigner le bâton du berger. Cela renvoie à ce Dieu berger plein d’attention, de tendresse, et de petits soins pour tous ceux et toutes celles qui sont ses brebis. Le berger, c’est donc bien celui qui aime ses brebis, et qui s’en occupe, connaissant chacune par son nom. Et puis, comme dit le Christ, il sort devant et leur montre le chemin. Les brebis voient leur berger avec son haut bâton qui sert de repère, elles peuvent ainsi arriver dans des lieux pleins de richesses et de joies malgré les ornières. Le disciple a ainsi pour mission de porter l’Evangile au monde, une parole sur laquelle nous pouvons garder les yeux comme une direction fondamentale à conserver précieusement. C’est quelque chose de cet ordre-là, la foi : à la fois appui et visée qui nous mettent en mouvement vers la vie, vers la paix, la joie et l’amour.

Mais ce bâton du disciple/berger peut aussi servir à guider les brebis d’une manière un peu plus vigoureuse, en touchant les brebis, en leur donnant des petits coups. Il y a ainsi dans l’Ecriture, et notamment dans la bouche de Jésus, des mises en garde, des passages qui recadrent, qui remettent en cause, et forcent à repenser notre manière de vivre. Cela est rarement confortable, mais c’est vital pour ne pas s’endormir ou s’égayer dans une errance qui ne mènerait nulle part et qui ferait des brebis une proie facile…

Le disciple/berger peut aussi utiliser son bâton pour inciter une brebis qui n’avance pas à avancer. Nous ne pouvons que reconnaître cette tentation dangereuse qu’est la paresse spirituelle. Or, moins on nourrit sa vie spirituelle, moins on a envie de la nourrir, et on risque de finir par ne plus y penser du tout. Le berger, par son bâton rappelle à l’ordre et encourage à avancer, à ne pas s’endormir. La foi ce n’est pas se reposer sur une montagne de certitudes, mais une dynamique, une recherche, une remise en cause, un questionnement. Sans cesse, il faut accepter de se laisser déranger par le Seigneur, par sa parole pour ne pas sombrer dans une sorte de mort spirituelle. Le rôle du disciple est de garder en éveil…

Ce bâton, ce peut être aussi un bâton de commandement, le sceptre du roi (le mot, dans la Bible est le même). Le bâton du Seigneur, c’est donc son sceptre nous rappelant sa dignité, sa royauté, sa grandeur et sa puissance. Bien sûr, Dieu est proche, mais il est aussi notre maître, il est celui que nous voulons servir, au service duquel nous voulons être et à qui nous voulons obéir. La vie du disciple est à lui et à son service, c’est-à-dire au service de la paix, de la justice, de la grâce et de l’amour ici et maintenant, dans notre monde. En retour, il est celui qui protège, qui prend soin, fidèle à sa promesse de la venue d’un règne de paix. Aussi, la grandeur de notre Dieu réside dans son désir de partager avec l’humanité cette dignité, cette royauté et cette puissance.

Cependant, dans la Bible, le « bâton » est aussi évoqué pour désigner une arme, soit un simple gourdin comme celui avec lequel Moïse a tué l’Egyptien, soit un javelot comme ceux enfoncés dans le cœur d’Absalom (2 Sam 18). Or, peut-on penser que la présence de Dieu ne soit pas que pacifique, mais puisse être une arme offensive ? Oui, si l’on pense que les ennemis qui nous menacent ne sont pas que des ennemis humains ou matériels, mais des situations, des pensées qui menacent notre équilibre, notre bonheur, notre sérénité, il s’agit d’ennemis intérieurs. Alors oui, la présence de Dieu dans toute vie peut être quelque chose qui mette ces idées noires, ces tentations mortifères en déroute, quelque chose qui réduise à néant le mal, qui « expulse nos démons », tout ce qui vient nous éprouver et tenter de nous renverser.

Et puis ce bâton, ce pourrait être aussi celui que Dieu a donné à Moïse pour l’accompagner dans sa vie, et qui est tendu à chaque croyant dans sa relation à Dieu ou dans sa réflexion personnelle. Ainsi, le disciple est invité à prendre ce bâton que lui tend le Dieu vivant, pour qu’il l’accompagne dans sa marche et qu’il lui permette, comme à Moïse, de fendre la mer pour que ceux vers qui il est envoyé puissent traverser, avec l’aide de Dieu, les événements qui les effraient et dont ils pensent qu’ils risquent de les submerger. Ce bâton de la présence de Dieu peut aussi leur permettre, comme à Moïse, de faire sortir de l’eau vive, en plein désert, d’un rocher, pour les désaltérer, leur donner la vie quand ils meurent de soif.

Ce bâton du berger pourrait encore symboliser d’autres choses extrêmement importantes pour donner la vie, la liste n’est pas close.

 

  • Le « peu » nécessaire :

Chez Marc, prendre un bâton et avoir ses sandales aux pieds évoque plus précisément un certain passage de la vie de Moïse : la sortie d’Égypte (Ex 12,11). Les sandales aux pieds et le bâton à la main, la ceinture sur les reins, c’est le signe du départ, de la libération d’Égypte, de la maison de servitude. La mission confiée par Jésus à ses disciples, consiste à guérir en chassant les démons, en chassant les esprits impurs, nous sommes bien dans une ambiance de libération. Être libre ne consiste pas forcément à sortir d’une cellule comme il y en a dans les prisons. Il est des barreaux qui ne sont pas matériels, mais qui maintiennent pourtant des personnes dans un isolement terrible ! Marc indique l’esprit dans lequel doit être vécu la mission des disciples de Jésus : il s’agit d’être « agent de libération ». Il s’agit d’offrir à chaque personne qu’ils croisent et donc que nous croisons la possibilité d’être un peu plus libre, ce qui commence par ne plus être sous la domination de puissances qui empêchent de faire ses propres choix et de discerner la manière juste ou ajustée à celle du Christ de mener sa vie. Cette ambiance d’exode indique le sens général de ce que doit être la vie des disciples de Jésus dans cet évangile. Et par la mention des sandales et du bâton, Marc rappelle que la liberté ne se fait pas sans une forme de traversée du désert. La liberté ne se vit pas sans sortir de sa zone de confort, sans être confronté à des milieux hostiles, à des difficultés sérieuses. La vraie liberté n’est pas une partie de plaisirs. Marc convoque tout le récit de l’exode pour nous rendre attentifs au fait que la vie de disciple de Jésus, profondément épris de liberté, n’est pas sans risque. Il court le risque du renoncement, de la compromission, de l’orgueil aussi. La dynamique de la liberté n’est pas sans risque. C’est la raison pour laquelle il faut être équipé… de peu, voyager léger pour porter l’essentiel. Le chemin de la liberté est long, très long. C’est peut-être le chemin de toute une vie, sans assurance d’atteindre la terre où coulent le lait et le miel, mais assurés que la promesse est Bonne Nouvelle ! Et, ce chemin qu’est la liberté, il se fait revêtu d’une tunique, d’une tunique et non pas de deux comme il était de coutume d’en porter au temps des hébreux lorsque l’on partait en voyage. Une tunique, vêtement le plus intime, qui représente les choses intérieures et spirituelles du Royaume.

Ainsi, en appelant et en envoyant ses disciples, Jésus insiste sur la nécessité de se munir de tout ce qui permet de converger vers cet unique nécessaire qu’est ce Dieu-là, libérateur de tout ce qui enchaine à la mort, et qui est l’unique présence à pouvoir apporter tout ce dont nous pouvons avoir besoin sur notre route de missionnaire, de douceur, de soutien, d’exhortation, de conseil et d’espérance, une bienveillance et un amour qui dépassent notre entendement et qui sont une grâce extraordinaire !

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