La scène proposée à notre lecture priante semble se passer entre Jésus et « les foules », des foules soucieuses des plus fragiles, alors qu’elles déposent « des boiteux, des estropiés, des aveugles, des muets et bien d’autres encore », aux pieds de Jésus (Mt 15, 30).
Mais en réalité, Jésus éduque ses disciples, sans l’ombre d’un reproche. Superbe pédagogie du Maître qui se prolonge jusqu’à nous, si nous nous laissons enseigner.
Après avoir guéri, enseigné, débattu, par monts et par vaux, Jésus gravit la montagne et s’y assoit. Lieu par excellence de retrait et repos dans l’intimité du Père, bien que le texte ne le dise pas. Mais Jésus se laisse surprendre et approcher par « des foules nombreuses ». La scène semble se dérouler en silence. Les foules ont frappé à la bonne porte pour leurs protégés car « Jesus les guérit », suscitant par-là louange et émerveillement qui reviennent en toute justesse « au Dieu d’Israël » (v 31).
Et voilà qu’une remarque de Jésus fait sortir les disciples de l’ombre ! : « J’ai pitié de la foule, car voilà déjà trois jours qu’ils restent auprès de moi et ils n’ont pas de quoi manger. Les renvoyer à jeun, je ne le veux pas : ils pourraient défaillir en route ». (v 32). Le propos de Jésus s’arrête là. Aucune demande supplémentaire ou suggestion. Pause risquée où le Maître éduque les disciples, en partageant son regard sur le monde qui l’entoure, et suscite leur liberté. Et les disciples de faire un pas, bien que leur élan premier (si souvent le nôtre) est de proposer une « solution » en dehors d’eux même : Où trouver du pain en plein désert pour une foule qui s’avèrera « quatre mille hommes, sans compter les femmes et les enfants » (v 38) ? Puis, une question de Jésus provoque un renversement : « Combien de pains avez-vous ?». Il invite par-là à passer du « assez de ? » à « combien avons-nous ? ». L’inquiétude et le doute (la peur du désinstallement) nous font souvent chercher ailleurs et à l’extérieur ce que nous croyons ne pas avoir. Mais Jésus voit les choses autrement. De l’intérieur et « du peu » surgit une fécondité pour tous ! A condition d’oser sortir les sept pains et quelques petits poissons, insignifiants à nos yeux, mais jamais aux yeux de Dieu. Car le Fils les accueille, rend grâce, car ils viennent de plus loin que nous, les rompt, et nous les donne à nouveau. Notre « peu » devient ainsi don de Dieu pour tous…. Mystérieuse fécondité du peu partagé par l’entremise de notre Seigneur !
Et cette fécondité est une promesse. Car elle s’enracine dans le don du Fils qui « une fois pour toute », a « déposé ses vêtements, avant la fête de la Pâque » (Jean 13, 4), signe du peu par excellence remis entre les mains du Père, dans la nuit de la foi et la confiance.
Puisse chaque « pain rompu » nous renouveler dans cette dynamique pascale du peu partagé.
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