« Ô mon peuple, ô ma vigne, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? réponds-moi ! » Impropère du Vendredi Saint
La parabole des « vignerons homicides » m’a toujours rebutée, peut-être à cause de l’ampleur de la violence qui y règne. Mais n’est-elle pas aussi en nous, cette violence, si enclins que nous sommes à la voir au cœur du monde, chez l’autre ? Le Carême nous inviterait-il à l’apprivoiser quelque peu ? Le style parabolique est à cet égard un excellent moyen, voire remède.
Plongeons-nous dans le récit, chargé d’entrée de jeu de toute une mémoire, pour qui sait l’entendre. « Un homme était propriétaire », nous dit Jésus, « et il planta une vigne ; il l’entoura d’une clôture, y creusa un pressoir et y bâtit une tour ». Aux oreilles des grands prêtres et des Pharisiens qui se reconnaissent destinataires de la parabole (v.45), se laisse entendre un autre récit, celui de l’amour de Dieu pour sa vigne, symbole de la relation d’Alliance désirée par Dieu pour et avec son peuple : « Que je chante à mon bien-aimé le chant de mon ami pour sa vigne.
Mon bien-aimé avait une vigne, sur un coteau fertile. Il la bêcha, il l’épierra, il y planta du raisin vermeil. Au milieu il bâtit une tour, il y creusa même un pressoir. Il attendait de beaux raisins… » (Is 5, 1). En écho à l’attente de « beaux raisins », l’envoi de serviteurs successifs auprès des vignerons pour « recevoir les fruits » de la vigne, est un moment dont l’enjeu est décisif : la reconnaissance de Celui qui est à la source de toutes choses, faisant d’elles un don et non un dû. Relation d’alliance ou convoitise.
Dans le contexte de la montée de Jésus à Jérusalem, bien qu’acclamé par la foule (21, 9), il sait que l’étau se resserre, car son autorité est questionnée : « Par quelle autorité fais-tu cela ? Et qui t’a donné cette autorité ? » (21, 23). Lui, le Fils, l’ultime Serviteur envoyé auprès des vignerons, à la suite de tant de prophètes, sera rejeté, et tué « hors de la vigne », cette vigne où se joue le drame de l’Alliance – nouée et dénouée – de Dieu avec son peuple.
« Donc lorsque viendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là ? » (v.40). Espace de liberté, dans la réponse possible, pour les grands prêtres et les Pharisiens, pour chacun de nous, avec le risque de nous glisser dans le vêtement du maître de la vigne – de Dieu – et d’opter pour une riposte toute humaine car perpétuant la violente : « Il fera misérablement périr ces misérables, et il louera la vigne à d’autres vignerons, qui lui en livreront les fruits en leur temps » (v. 41). Mais l’issue, la Seule, tombe de la bouche de Jésus, mûrie à travers les âges, dans le berceau des Écritures : « La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs c’est elle qui est devenue pierre de faîte » (v. 42). La faute de tous, portée par le Juste, interrompt le cercle infernal de la violence. « Aussi, je vous le dis : le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits » (v. 43). Quel peuple ? Ne le voyez-vous pas ? Ne les voyez-vous pas, les doux, les artisans de paix, les assoiffés et affamés de justice, les cœurs purs, les miséricordieux, les persécutés pour la justice, ces bienheureux dont les fruits demeurent ? « Sur notre terre les fleurs se montrent. Le figuier forme ses premiers fruits et les vignes en fleur exhalent leur parfum » (Ct 2, 12).
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