En ce premier dimanche de Carême, nous lisons le récit des tentations au désert. Ce texte n’est pas sans nous interpeller : que nous dit-il ou que nous apprend-il de l’Esprit ? Du désert ? Et des manigances du diable ?
Luc 4,1-13
« Jésus – rempli d’Esprit Saint s’en revint du Jourdain et il était conduit par l’Esprit dans le désert, pendant quarante jours, et il était tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et lorsque ce temps fut écoulé, il eut faim. Le diable lui dit alors […] Le diable le conduisit plus haut […]Le diable le conduisit à Jérusalem et le plaça […] Et ayant épuisé toute épreuve le diable s’éloigna de lui jusqu’à une occasion. »
Pierre Soulages est le peintre des grands espaces, parce que ce sont les paysages qu’il aime : les vastes étendues des Causses ou du Larzac et l’infini de la mer devant son atelier de Sète.
Dans sa composition en larges bandes horizontales, je retrouve l’horizon du désert et son infini, ce fameux appel au grand large dont l’évangile est plein : allez debout, lève-toi, réveillez-vous, avance en eau profonde, passez de l’autre rive, de quoi avez-vous peur, en marche, etc. …
Le noir n’est pas opaque mais riche de variations et de trouée lumineuses.
Tout d’abord, en haut du dessin : l’encre colorée de brun, délayée, comme fondue dans le noir. Et ces deux encres jouent comme l’irisation de la lumière, comme une teinte de sable et de soleil mêlés, rappelant la présence, l’immanence de l’Esprit en nos vies.
Puis, il y a les traces – laissées en creux – de cette encre noire qui n’a pas tout recouvert. Et dans ces deux déchirures (au centre et au bas du noir), c’est l’ouverture d’un autre chemin possible, une échappatoire, un appel à la liberté. On peut s’en sortir.
Et enfin, la place du papier laissé vierge en haut et en bas, encadrant les bandes noires. Et là, c’est encore autre chose, parce qu’en plus de la trouée de lumière, il y a aussi le grain du papier resté vierge, brut, pur, pauvre. Il existe, par lui, un espace en attente, non compromis, non sali, non taché, intact. Comme le cœur de Marie à l’Annonciation recevant le Verbe. Comme un grand parterre de neige blanche qu’aucun pas n’est venu fouler et dont le silence ouaté nous protège des bruits parasites et des perturbations sonores.
Toutes ses pistes, ouvertes par le peintre, nous donnent des indices pour comprendre notre récit. Le désert est cet espace vierge des possibles et de la nouveauté créatrice, terrain de l’Esprit. Les jeux de lumière, d’ouverture, de percées, sont comme le travail de l’Esprit. Jésus en est rempli, c’est donc que l’Esprit est en lui et, silencieux, ne le quitte plus. Son travail est de conduire le fils de l’homme au désert, aux immensités libres, à l’incomplétude, à la faim, au vide et donc au désir qui rend pauvre. Car c’est en cela que l’homme devient vivant. Si nous le relisons à la lumière des béatitudes (Luc 6,20-26), nous entendons au cœur : « En marche ! Heureux les pauvres, les affamés, les assoiffés … ». Pauvreté qui nous fait désirer Dieu, son Royaume de paix et de justice, et appeler la vraie vie. « Le désert, plus qu’aucun autre paysage donne la liberté à l’imagination. Un arbre au bord de la piste, un couple d’oiseaux dans le ciel témoignent plus de la vie que la plus verte vallée. » Anne Philippe (1917-1990), Le temps d’un soupir, Livre de Poche, 1969, p.58.
Conduite divine en contrepoint des tentations du diable falsificateur, qui lui aussi conduit, mais non en ouvrant des espaces de création, sinon en bouchant, colmatant, goinfrant, saturant, les besoins de l’homme. Il s’immisce, va et vient, monte, descend, s’éloigne, abandonne, s’agite et fait beaucoup de bruit pour rien, car Jésus sort vainqueur de ce combat. « Hélas pour vous les riches, les repus, ceux qui rient, les flattés … »
En ce premier dimanche de Carême, laissons-nous conduire par l’Esprit, le grand Silencieux qui ne nous abandonne pas et creuse, découvre, en nous et avec nous de nouveaux chemins de désir. Voici venu le temps d’assumer, joyeusement, nos déserts, nos manques et nos pauvretés.
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