En cette inauguration de la Semaine Sainte, nous entrons dans le tragique des derniers jours de Jésus, avec le long récit de sa Passion. Et pourtant, au plus obscur de sa vie d’homme, l’évangéliste Luc nous offre quelques trouées de lumière et de grâce.
Dans cette peinture de 1977, deux ans avant sa découverte de l’Outrenoir (Cf. 4e dimanche), Pierre Soulages trouve la lumière de derrière la toile, par raclage de la peinture noire déposée (Cf. 3e dimanche).
Cette toile de Soulages n’est pas noire, mais brune et lumineuse de transparences et de passages. Plus dense dans la hauteur du tableau, une bande noire est percée d’un rectangle blanc, contraste optimal et aveuglant. Issue de secours : la lumière aura-t-elle le dernier mot ?
Juste en dessous d’elle, un premier raclage horizontal met à jour un bandeau de lumière irrégulier et timide, comme torsadé.
Puis, deux larges mouvements verticaux éclairent les ¾ de la peinture, laissant seulement une séparation noire entre deux carreaux de fenêtre opalescents.
Sur la surface la plus claire, des gouttelettes noires comme des larmes, comme des étoiles créant un premier plan s’ouvrant sur un infini. Il y a une musicalité sidérale dans cette peinture-là, un grand appel de l’abîme. L’appel d’un grand espace, rappelant les escapades du petit Soulages quittant sa rue et les murs de Rodez, où il lui fallait franchir le mur de l’hôpital, puis celui de la prison, puis celui de la gendarmerie, puis celui de l’asile, et enfin celui de la caserne pour goûter la liberté de gambader sous un autre ciel que celui de l’enfermement.
Il y a un haut et il y a un bas. La dynamique est celle de l’abaissement, tout semble tomber, fondre, se déliter, couler du haut vers le bas de la composition. Passage du ciel à la terre ; mais non dans une logique de masse ou d’apesanteur, car ici le ciel fermé est lourd comme une chape de plomb. Il surplombe et se déchirant crée un espace comme dilué. Fonte des neiges ?
Et de terre stable et ferme, il n’y en a pas, il n’y en a plus. La toile semble coupée, tronquée, et son en-bas est une chute vertigineuse dans le néant de la mort et de l’oubli. C’est de cette coupure et de l’inconnaissance de ce qu’il y a en dessous, ou après, que naît notre angoisse. Dégringolade. Sommes-nous au bord d’un précipice ? Au fond d’un puit, au fond d’un gouffre ?
Souffrances, douleurs et crucifiement : la fin de quelque chose d’heureux.
Il y a le premier plan de la peinture et du noir, et il y a un arrière-plan transparent. Le devant est une toile en papier-calque semblable aux parois japonaises qui laissent sourdre la lumière. Et là, dans cette offrande lumineuse annonciatrice d’un tout autre et d’une présence, le regard s’arrête et se repose …
« En vérité, je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. » (Luc 23,43). Qu’est-ce que le paradis, sinon être avec lui, pour toujours ?
« Le voile du sanctuaire se déchira par le milieu ; Jésus poussa un grand cri et dit : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit. » Et sur ces mots, il expira. » (Lc 23,46)
Mais ce n’était pas la fin.
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