Quatrième situation :
Face au prosélytisme d’un protestant évangéliste baptiste, dans une maison de repos
C’est une maison de repos du CPAS où la messe est célébrée tous les 15 jours le vendredi après-midi. Arrive un homme protestant le même jour et à la même heure pour proposer un partage d’Évangile. Voilà peut-être l’occasion de faire de l’œcuménisme ?
Dommage que ce soit le même jour et aux mêmes heures. Comme il y a peu de protestants dans la maison les catholiques se trouvent sollicités, la plupart privilégient l’eucharistie, mais les plus démunis qui ne se déplacent pas seuls sont amenés directement au partage d’Évangile. De plus nous nous trouvons aussi en concurrence pour la salle ce qui n’est pas très confortable. J’essaie d’engager un dialogue pour que nous nous répartissions les vendredis, mais comme il travaille certains vendredis il m’impose les dates ce qui casse la régularité et me met en difficulté vis-à-vis des disponibilités des prêtres. Il est très relationnel et très vite il a conquis le personnel et la direction et il est même appelé quand une famille demande un prêtre. Il faut savoir que les visiteurs qui sont présents depuis de nombreuses années ont une histoire dans cette maison : ils avaient du mal à respecter la consigne de ne pas aller systématiquement dans toutes les chambres et ont été étiquetés comme trop prosélytes. En entrant en dialogue avec lui j’apprends qu’il est Évangéliste baptiste ; ce ne sont pas les plus œcuméniques…
Bien qu’ayant une attitude très aimable et se voulant collaborant, je me rends très vite compte qu’il désire gagner du terrain à nos dépens. De plus je ne peux pas compter sur la direction qui fait peu de différence entre catholiques et protestants et encore moins entre les diverses églises protestantes. Si la direction sent des tensions entre nous elle risque de le prendre comme un manque d’ouverture de ma part. Certaines visiteuses me font remarquer que lorsqu’elles font des visites les vendredis où il n’y a pas de messe et où il devrait y avoir le partage d’Évangile, il n’est pas toujours là : quid des dates qu’il nous impose ? Certaines personnes catholiques se plaignent à moi qu’il les importune et les déstabilise dans leur foi, je leur conseille d’aller se plaindre à la direction elles-mêmes, car ma position est délicate.
Que faire pour mieux poser la présence catholique dans cette maison de repos ?
La responsable de la Pastorale de la santé envoie un courrier à l’en tête de l’évêché à la direction afin de me nommer officiellement comme référente dans cette maison de repos pour le culte catholique. Une fois ce courrier reçu, je demande un rendez-vous à la directrice pour lui présenter les Visiteurs qui dans cette équipe ont presque tous suivi la formation à l’écoute, lui remettre la charte des visiteurs, la charte des visiteurs en maison de repos, le programme de formation et je lui indique que tous les visiteurs catholiques porteront un badge pour que le personnel les repère. Je reparle des difficultés du passé et lui propose de signer une convention indiquant d’une part ce que peuvent offrir ou non les visiteurs comme service aux résidents et d’autre part qui fixe les modalités de leurs interventions dans la maison (pas de porte à porte…). Elle m’assure de sa confiance et trouve inutile actuellement de signer cette convention. Je lui demande alors une deuxième salle afin de pouvoir reprendre un rythme de tous les 15 jours, ce qui est plus facile à retenir pour les résidents, ce que j’obtiens sans difficulté. Elle me pose cependant la question : « Est-ce que cela vous gêne que des catholiques aillent à la rencontre protestante ? » et je lui réponds « Non, ils sont libres et partager l’Évangile à plusieurs est une bonne chose à condition qu’ils soient respectés dans leur propre religion ». Je ne suis pas allée plus loin...
Désormais, après toutes ces démarches, quand une famille demande un prêtre, l’assistante sociale me contacte et je fais soit le relais vers un prêtre, soit je propose un temps de prière à la famille selon les circonstances.
Nous essayons également d’être plus présentes pour des visites d’amitié et non seulement pour les messes ou pour porter la communion. Notre présence auprès de personnes ayant peu de visites, tout en respectant le fait de ne pas faire du porte à porte, est appréciée par le personnel. Nous nous faisons connaître et la méfiance diminue.
Depuis 2 ans il y a eu déménagement dans un bâtiment tout fraîchement construit et il n’y a à nouveau qu’une seule salle : « La salle d’appui spirituel », mais j’ai gardé le rythme de tous les 15 jours sans soulever de question et le protestant s’intercale, il ne vient en fait qu’une fois par mois.
Qu’est-ce que je retire de cette situation ?
Dans une institution pluraliste où les repères religieux manquent : c’est une situation délicate car disqualifier auprès de la direction ce monsieur protestant, qui ne me semble pas très correct serait nous disqualifier nous-mêmes.
Nous ne devons pas raser les murs : soyons clairs, n’hésitons pas à nous faire reconnaître par notre sérieux et nos compétences, reconnaissance qui passe par une nomination officielle, par le port du badge mentionnant « culte catholique », par une présentation de notre service et de notre programme de formation à la direction.
Ne nous cantonnons pas seulement dans l’animation des messes et le fait de porter la communion. N’oublions pas le sacrement du frère, de la sœur : la visite d’amitié des plus esseulés, c’est un témoignage qui touche même ceux qui ne partagent pas notre foi.
par sr François Barnoud