Georges de La Tour, Songe de Saint Joseph, 1640
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Saint Joseph, le silencieux de l’Evangile
D’après une interview de Sr Frédérique Oltra, Carmélite de St Joseph (Radio Notre Dame)
- RND. Les Evangiles ne nous parlent que très peu de St Joseph : il n’y a pas une seule parole de lui dans les Ecritures, pourtant il est très présent, notamment dans les textes sur l’enfance du Christ (25 fois chez Luc et 17 chez Matthieu).
- Sr Frédérique. St Joseph est un homme
discret et le Carmel se veut discret: je pense que c’est en partie
pour cela que l’on parle de son exemplarité ; mais c’est aussi
fortement parce que Joseph est « auprès de » Marie. Vous savez que
dans sa fondation primitive, en 1248, le Carmel est placé sous le
vocable de Notre Dame du Mont Carmel, et donc je pense que Joseph
est celui qui écoute et reçoit de Marie une façon d’être auprès du
Christ, d’être face à Dieu, d’être attentif à la Parole.
- RND. Est-ce que l’on sait d’où il venait, à quelle époque il est né, a-t-on une idée de ses origines ?
- Sr Frédérique. L’Evangile ne nous dit pas grand-chose et ce sont, à ma connaissance, les seules sources du personnage… On sait qu’il était de la tribu de David, originaire de Nazareth, on sait qu’il était artisan, que c’était un homme juste… Mais on a des indications propres à l’historiographie antique, c’est-à-dire un genre littéraire qui n’attachait pas une importance capitale à la précision technique d’une biographie. On présentait les personnages en fonction de leur place symbolique dans l’histoire d’un peuple, d’une tribu.
- RND. Comment est-ce qu’il rencontre la Vierge ? Selon les Evangiles ?
- Sr Frédérique. On prend le train en marche en ce qui concerne Joseph et Marie dans les Evangiles, c’est-à-dire que nous apprenons que Marie était fiancée à un homme juste de la maison de David, qui se prénommait Joseph. Donc, nous le rencontrons en fait à l’occasion d’une annonce concernant Marie. Dans l’Evangile de Matthieu nous avons une annonce à Joseph et dans celui de Luc une annonce à Marie. Peut-être la place de Joseph est-elle plus au premier plan chez Matthieu, mais c’est toujours à propos du lien qu’il a avec la Vierge Marie.
Joseph le juste, ajusté à la réalité
- RND. Quelle
est sa réaction au moment où il apprend que sa fiancée est enceinte
?
- Sr Frédérique. C’est ce mouvement de justesse,
de justice si si vous voulez. Pourquoi dit-on que Joseph est un homme
juste ? Je crois que c’est quelqu’un qui est ajusté à la réalité,
au réel de ce qui se présente à lui.
- RND. Mais sa première réaction est de révolte…
- Sr Frédérique. Sa première réaction c’est
d’accomplir la Loi, c’est-à-dire de répudier, mais en secret, cette
jeune femme dont il sait qu’il ne peut pas être le père de l’enfant.
Il va obéir à la Loi, donc, mais il veut le faire en secret : ce qui
signifie que déjà, dans cet accomplissement de la Loi, il laisse s’introduire
quelque chose comme une confiance inaltérable dans celle qu’il a choisie
pour épouse. Donc, on pourrait dire que c’est cette confiance qu’il
laisse introduire dans sa déception, dans son doute, qui fait qu’il
ne va pas se positionner comme un censeur radical, et qu’il va être
capable d’entendre encore plus. D’où le Songe de Joseph où il entend
une autre parole que celle que la réalité objective première lui souffle.
Joseph, c’est l’anti-Adam, si l’on veut, il n’écoute pas la parole
du serpent, il n’écoute pas la parole de suspicion. Il va laisser,
d’une certaine manière, une autre parole venir le toucher, une parole
qui lui vient d’ailleurs : c’est pour cela qu’il est dit "juste".
Joseph homme de l’écoute
- RND. En même
temps, là, il va faire aussi un « fiat », il va accepter comme la
Vierge : il vit aussi l’abandon total.
- Sr Frédérique. Comment peut-il consentir
à ce « fiat » devant une situation aussi énorme où il peut être ridiculisé
– on peut même lui dire : « tu n’accomplis pas ce que la Loi prescrit
envers de telles femmes » - comment peut-il le faire sinon parce qu’il
y a en lui comme une espèce d’habitude d’écoute, d’habitus d’écoute
comme l’on dit, de longue fréquentation de l’écoute d’une autre parole
qui peut le toucher et faire brèche dans une objectivité de soupçon.
Alors cela n’empêche pas qu’il doute. Et là, nous touchons déjà un
peu l’exemplarité : le doute n’est pas quelque chose de foncièrement
mauvais et nous sommes tous touchés par cela. Mais comment laissons-nous
le doute, le questionnement, la déception qui nous habitent être traversés
par une autre parole qui va nous conduire plus loin. C’est ce à quoi
Joseph consent parce que c’est un homme qui est juste, qui est déjà
habité par la justice, avant même que l’événement ne vienne le toucher.
Joseph ouvert au mystère de la paternité
- RND. Alors,
il y a ce fiat, cette acceptation totale d’être le père de l’enfant
attendu par la Vierge ; il y a l’appel au recensement qui est fait
: ils partent pour Bethléem. Là on sent un chef de famille, un père
attentionné. Pour en venir à cette naissance à Bethléem, l’enfant
va être au premier plan : après avoir porté toute son attention sur
la mère de l’enfant, on voit maintenant les Bergers qui arrivent,
le Mages… C’est aussi la prise de conscience par Joseph de quelque
chose d’atypique, d’anormal…
- Sr Frédérique. Je veux bien employer
ce terme-là mais je le contesterais quelque peu. Ce qui me semble très
important, concernant Joseph, c’est que c’est l’homme de l’ouverture
au mystère. Le mystère, pour moi, n’est pas « anormal » : le mystère,
c’est la véritable réalité… Mais nous n’avons pas l’habitude de le
déchiffrer dans le réel qui nous est donné à vivre : nous ne voyons
que les choses qui apparaissent aux yeux, les épiphénomènes… Mais
lui, il est habité de telle manière par la Parole de Dieu, je crois,
par l’écoute qu’il est capable de laisser une brèche, de voir la face
mystérieuse des êtres et des événements, pour entrevoir le mystère
de Dieu. Prenons, par exemple, l’épisode de la fuite de Jésus au Temple,
la disparition, dans les Evangiles de l’enfance, en Luc… Un épisode
où on voit bien Joseph se mettre face au mystère et donner à entendre
ce qu’est la véritable paternité. Là, Joseph reste dans une discrétion
très grande ; c’est Marie qui prend la parole : « Mon enfant, pourquoi
nous as-tu fait cela ? Ton père et moi te cherchions… » Voilà la paternité
qui arrive. Et la réponse de Jésus : « Ne saviez-vous pas que je dois
être aux affaires de mon Père ? ». Qu’est-ce que Joseph a pu percevoir,
et je crois chaque homme et chaque femme, du mystère de la véritable
paternité, à savoir qu’il n’y a qu’un seul Père et c’est Dieu ? Le
Père du ciel… Là, il y a quelque chose à creuser : Joseph est l’homme
du mystère, celui qui est devenu père, à l’intérieur même d’un consentement
qui le menait où il ne savait pas.
- RND. Donc, il
y a toute l’époque de la vie cachée dont les Evangiles ne parlent
quasiment pas, de toute l’enfance, l’adolescence, les premières années
de vie d’adulte de Jésus. C’est aussi, Joseph père de famille…
- Sr Frédérique. Joseph est confronté très
vite au mystère de sa propre paternité et en cela, il a beaucoup de
choses à dire aux pères aujourd’hui. Peut-être que le déficit de paternité
vient du fait que l’on avait un modèle de paternité dans l’esprit,
qui laissait trop peu de place à la référence au Dieu-Père. C’était
une paternité selon la loi des hommes, très hiérarchique alors que,
avec Joseph, on a une autre paternité… Il est père réellement, parce
qu’il est lui-même fils du Père: il est capable d’être rendu père
parce qu’il est à l’écoute de l’Esprit (de l’ange si vous voulez)
qui lui désigne un autre de qui vient toute paternité, comme le dit
Paul dans la Lettre aux Ephésiens (Ep 3,14-15). Et c’est parce qu’il
se reçoit, qu’il reçoit sa liberté, sa personne, son être du Père
qui est origine de tout qu’il devient lui-même père. Et l’on peut
dire, d’une certaine façon que, n’ayant pas connu Marie, il engendre
réellement Jésus, à sa vie d’homme en tant que père. Nous avons là
une image magnifique de paternité. On n’est pas père que biologiquement
: ceux qui adoptent des enfants font aussi ce chemin de paternité.
Une homme qui est père biologiquement – et cela est vrai aussi pour
une femme, mère biologiquement – doit recevoir sa propre paternité
ou maternité du Père. Sinon, nous nous mettons à l’origine. La grandeur
de Joseph et ce qu’il a à dire, me semble-t-il aujourd’hui, c’est
qu’il n’est ni son origine ni son terme, que, se recevant du Père
qui est origine de tout, il devient capable d’engendrer. Et si les
hommes et les femmes entendaient engendrement et enfantement, paternité
et maternité dans ce sens là, il y aurait peut-être un petit moins
d’exclusion mutuelle. Parce que l’on tous fils et filles du Père.
La discrétion de Joseph
- RND. Donc, dans
toute la vie publique de Jésus, on parle de Marie mais on ne parle
jamais de Joseph. Qu’est devenu Joseph, que s’est-il passé ?
- Sr Frédérique. Il n’y a aucun signe précis
dans les Evangiles synoptiques d’une mort de Joseph pendant l’adolescence
de Jésus, alors que l’iconographie populaire l’a représentée. On ne
peut que constater qu’il n’est pas là à la Croix et comme Jésus confie
sa mère au disciple qu’il aimait cela fait supposer que Joseph est
mort. Mais c’est aussi un récit d’une grande densité symbolique et
théologique dans l’Evangile de Jean. Je dirais que cette discrétion
de Joseph ne veut pas dire qu’il est au second plan car c’est très
grand d’être discret et le Messie lui-même est discret. Cela fait
penser à l’effacement de Jean-Baptiste : on a là deux personnages
qui sont à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament et qui
désignent le Christ chacun à leur manière. Jean-Baptiste par une prédication
très forte et Joseph par un engendrement qui lui vient d’un autre.
Il se laisse traverser par cet engendrement : la discrétion de Joseph
ressemble à celle de Jean Baptiste dès lors que le Christ entre en
scène. Quand on vient rapporter à Jésus la question de Jean-Baptiste
: « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre
? », Jésus renvoie à la réalité de la vie : « Allez dire à Jean :
les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris,
les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres.
» Nous avons exactement la même chose avec Joseph : il renvoie, par
son silence, à la réalité du passage étonnant de Jésus au milieu des
hommes et des femmes qu’il saisit par son dynamisme, par la grâce.
Et il s’efface.
Joseph le silencieux, à écouter, aujourd’hui
- RND. Joseph homme juste, homme discret, homme libre qui dit « oui », un homme qui prend ses responsabilités sociales et familiales, un homme moderne parce qu’il va bousculer les traditions de l’époque. Finalement, un modèle pour les hommes et pour les femmes, un modèle assez étonnant, dont on ne parle pas beaucoup, modèle pour la vie d’aujourd’hui… Dans votre vie de femme et de Carmélite, en quoi Joseph vous aide aujourd’hui ?
- Sr Frédérique. Je crois que je retiendrai
trois mots : la discrétion de Joseph, c’est
l’abaissement propre au Christ, l’abaissement du Messie. Joseph
le vit déjà dans sa vie d’homme et nous sommes appelées à vivre nous aussi cette
discrétion-là ; la justesse, l’ajustement au réel,
à l’écoute d’une parole que Joseph ne construit pas à l’intérieur
de lui-même ; l’ouverture au mystère, c’est-à-dire, recevoir mon origine,
recevoir ce qui construit une communauté ou une famille si vous voulez.
Recevoir, non pas seulement de toutes les compétences et les talents
que l’on peut mettre ensemble, mais recevoir de Dieu, du Père de qui
vient tout don parfait.
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Le Messie discret
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Sur la route des JMJ
Voir aussi :
> Paroles humaines, Parole de Dieu : toutes les méditations...
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