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Le Caravage, "Appel de saint Mathieu" - Détail. |
Cheminer en carême avec le "Messie discret" dans l’évangile de Matthieu. (Etape 2) Par sœur Adeline Marc, Carmélite de St Joseph. La discrétion du Serviteur en Mt 12,15-21 Avant de parler de la discrétion du Messie en Jésus, telle que Matthieu la donne à voir, attachons-nous à la citation d’accomplissement en Mt 12,15-21. Comment Isaïe parle-t-il de cette discrétion du Serviteur ? Comment est-elle relue dans l’évangile de Matthieu dans le sens d’une discrétion du Messie, reconnue comme celle du Serviteur ? Premier poème du Serviteur (Isaïe) 42 1 Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît. J'ai mis sur lui mon esprit, il présentera aux nations le droit. 2 Il ne crie pas, il n'élève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue; 3 il ne brise pas le roseau froissé, il n'éteint pas la mèche qui faiblit, fidèlement, il présente le droit; 4 il ne faiblira ni ne cédera jusqu'à ce qu'il établisse le droit sur la terre, et les îles attendent son enseignement. 5 Ainsi parle Dieu, le Seigneur, qui a créé les cieux et les a déployés, qui a affermi la terre et ce qu'elle produit, qui a donné le souffle au peuple qui l'habite, et l'esprit à ceux qui la parcourent. 6 "Moi, le Seigneur, je t'ai appelé dans la justice, je t'ai saisi par la main, et je t'ai modelé, j'ai fait de toi l'alliance du peuple, la lumière des nations, 7 pour ouvrir les yeux des aveugles, pour extraire du cachot le prisonnier, et de la prison ceux qui habitent les ténèbres." 8 Je suis le Seigneur, tel est mon nom! Ma gloire, je ne la donnerai pas à un autre, ni mon honneur aux idoles. 9 Les premières choses, voici qu'elles sont arrivées, et je vous en annonce de nouvelles, avant qu'elles ne paraissent, je vais vous les faire connaître. Le Serviteur discret en Isaïe Le silence du Serviteur Dans le premier chant du Serviteur, ce n’est pas le Serviteur mais Dieu qui prend la parole, à la différence du second et du troisième chants où, au contraire, le Serviteur parle de lui-même. D’une certaine manière, le Serviteur reste silencieux tandis que la parole de Dieu le désigne : à travers elle le Serviteur est connu. La parole qui le révèle n’est pas de son fait. On ne l’entend pas et il laisse Dieu parler de lui, le désigner, le donner à connaître. Dans la parole que Dieu prononce sur lui, le Serviteur est décrit en ce qu’il est, avec des affirmations (Mt 12,18a-c), et en ce qu’il fait, par une série de propositions négatives (Mt 12,19-20a-b). C’est surtout dans les propositions négatives que sa discrétion apparaît avec force : il ne dispute pas, il ne crie pas, on n’entend pas sa voix sur les places (Mt 12,19). La discrétion apparaît comme une retenue par rapport à une autorité que le début de la citation laissait entrevoir (l’élu, le bien-aimé sur qui repose l’Esprit de Dieu). Mais les trois propositions du verset 19 ne sont pas sur le même pied. Ainsi, « ne pas disputer » et « ne pas crier » ont le Serviteur comme sujet. La fin du verset, en revanche, indique le résultat que cette attitude produit chez ceux qui en sont témoins : « on ne l’entend pas ». Il y a bien un constat, en Matthieu, que Jésus comme Serviteur n’est pas « entendu », puisque les Pharisiens, à la suite de ses paroles, viennent de décider de le faire mourir. Sa discrétion est celle de quelqu’un qui ne parle pas fort, au point qu’il est à peine audible. Cette discrétion n’est pas à comprendre comme le constat d’un simple état de fait mais comme une attitude voulue, une manière d’agir qui pousse le Serviteur à refuser de disputer et de crier. De plus, c’est « sur les places » que le Serviteur n’est pas entendu. On pense à Mt 6,5-6 : « Quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites qui aiment faire leur prière debout dans les synagogues et les carrefours, afin d’être vus des hommes. Pour toi, quand tu veux prier entre dans ta chambre la plus retirée, verrouille ta porte et adresse ta prière à ton Père qui est là dans le secret ». La manière d’agir du Serviteur se trouve donc dans la même ligne que celle demandée par Jésus à ses disciples : une volonté de ne pas se faire remarquer qui, selon Matthieu 6, indique une relation « juste » au Père. La douceur du Serviteur La deuxième série de propositions négatives se rattache plus à une certaine douceur et miséricorde du Serviteur : dans son agir comme dans sa parole, il n’écrase pas, il ne s’impose pas. La discrétion du Serviteur ressort encore davantage quand on la compare à son identité, selon le début de la citation. Le Serviteur en effet est d’abord l’élu de Dieu (Mt 12,18a), le « bien-aimé » en qui Dieu trouve son bon plaisir (Mt 12,18b), celui sur qui repose l’Esprit de Dieu (Mt 12,18c) et à qui revient la mission d’annoncer le jugement aux nations. A la fin de la citation, c’est « en son nom » et non plus en son enseignement que les nations mettront leur espérance. La personnalité unique du Serviteur est nettement mise en relief. C’est l’élu qui ne se fait pas entendre sur les places. La discrétion, qui apparaît surtout en Mt 12,19-20, est donc bien celle du Messie. Nous pouvons même aller plus loin : ces traits d’un agir et d’une parole discrets permettent de le reconnaître comme Messie. Tendre l’oreille pour entendre la voix de douceur Cependant, un autre contraste se fait jour : la mission du Serviteur est celle d’une annonce (Mt 12,18d) qui doit se faire entendre des « nations », c’est-à-dire de ceux qui, a priori, se trouvent au plus loin. On ne peut donc réduire la discrétion à un simple silence. Le Serviteur est bien amené à faire une annonce, mais, pour cela, il ne parle pas fort. Il y a bien une parole, mais celle-ci demande que l’on tende l’oreille. Enfin, nous apprenons que le temps de la discrétion du Serviteur est un temps limité. Le verset 12,20c indique en effet que l’agir discret du Serviteur doit durer « jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre ». Une limite est donc donnée. A quel temps correspond cette limite ? Sans doute le moment de la réalisation eschatologique de la mission du Serviteur dans l’annonce à toutes les nations. Or, dans l’évangile de Matthieu, cette annonce explicite est confiée aux disciples, lors de la rencontre ultime avec le Ressuscité. Les disciples sont invités à entrer à leur tour dans cet agir discret du Serviteur et à témoigner de la même attitude. Le style de l’annonce post-pascale trouve sa source dans celui du Serviteur lui-même, que Matthieu souligne ici. La discrétion du Serviteur dans le récit de Matthieu Un appel au discernement La discrétion du Serviteur est mise en relief dans la citation d’Isaïe faite par Matthieu en termes d’accomplissement : « Afin que soit accompli ce qu’a dit le prophète Isaïe » (v. 17). Où cela est-il en train de s’accomplir, dans l’évangile de Matthieu ? Car Jésus ne se présente pas particulièrement comme celui qui refuse de « disputer » : il ne se dérobe pas aux débats ni aux polémiques… La réponse est à chercher dans la manière dont Jésus entre dans le débat. Certes, en de multiples endroits, sa parole cherche à convaincre les différents interlocuteurs, mais elle se présente avant tout comme un appel, ouvert. Il s’agit d’une proposition et d’un appel vigoureux et ses réponses se présentent surtout comme des ouvertures qui laissent à ses interlocuteurs le soin de se décider et de discerner ce qui advient dans le présent et dans l’agir de Jésus. Dans le débat – qui a bien lieu – Jésus ne renvoie pas à lui-même mais au discernement de cet agir, de ce que les interlocuteurs voient et entendent. Cette tension entre la « non-dispute » du Serviteur et la prise de parole de Jésus donne un contenu nouveau à la discrétion du Serviteur. Nous ne pouvons pas la réduire à une absence de prise de parole, ni à un refus « d’annoncer le jugement ». Elle porte au contraire la trace d’un appel au discernement. Comme la sagesse appelle les simples… Le Serviteur qui ne crie pas, dont on n’entend pas la voix sur les places, qui ne brise ni n’écrase, nous rappelle donc l’humilité et la douceur de celui qui, à l’image de la Sagesse, appelle les simples et ceux qui peinent en Mt 11,28-30 : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos ». La discrétion du Serviteur devient ici celle de Jésus, « doux et humble de cœur ». Ces multiples constats conduisent à dire que, dans la proclamation de Jésus, quelque chose est à entendre qui ne s’entend pas facilement. Mais quelque chose est bien à entendre, puisque les petits l’accueillent, les foules suivent Jésus et une communauté de disciples reconnus comme des frères se forme autour de lui. La voix du Serviteur n’est pas entendue sur les places, mais elle est tout de même entendue ! Une discrétion qui dit l’identité de Jésus Nous pouvons encore aller plus loin : cette discrétion est aussi une attitude voulue propre au Serviteur, une retenue qui dit son identité. Il y a un contraste entre la prétention à laquelle le Serviteur a droit et la non-prétention dont son agir fait preuve. Ainsi, il est assez rare que Jésus se prononce directement sur lui-même. Quand on lui pose des questions sur son identité, il répond en renvoyant au présent de ce qui advient et à l’expérience que font ses auditeurs, à ce qu’ils voient et entendent. Il ne capte pas l’attention sur lui-même mais il désigne la source de son agir et la présence du Royaume, invitant ses auditeurs à tirer eux-mêmes les conclusions sur ce qui est en train d’advenir. Cette retenue par rapport à des prétentions qui lui reviendraient n’empêche pas que Jésus manifeste une autorité. Comme le Serviteur d’Isaïe, Jésus a reçu mission d’annoncer le « jugement » aux nations. Le Serviteur annonce le jugement, le Fils révèle le Père Accomplissant le premier chant du Serviteur, Jésus semble donc s’effacer, dans la discrétion, devant ce qui le révèle : l’annonce qu’il porte, sa manière d’agir et de parler, ses œuvres, mais aussi la parole de Dieu qui le désigne et l’Esprit qui repose sur lui. C’est la parole de Dieu qui donne à connaître le bien-aimé, son Fils. Ce n’est donc pas le Fils qui dit ce qu’il en est de lui-même. Au Fils, en revanche, il revient de révéler le Père. Une même discrétion caractérise donc le Serviteur et le Fils. Mais de l’un à l’autre texte, de la citation à son accomplissement en Jésus, un passage s’effectue : le Serviteur est chargé d’annoncer le jugement aux nations tandis que le Fils est chargé de révéler le Père. Matthieu 12,38-42 "Maître, nous voudrions que tu nous fasses voir un signe." Jésus répondit : "Il ne sera pas donné d’autre signe que le signe du prophète Jonas. Car tout comme Jonas fut dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre…" Sur la discrétion la plus extrême, une parole se lève Cette discrétion du Serviteur en Jésus trouve son achèvement dans le signe de Jonas, seul signe donné aux Pharisiens. En lui, la parole et l’agir du Fils de l’homme en viennent à l’effacement le plus complet, dans le ventre de la terre. Signe de disparition, le signe de Jonas indique aussi ceci : sur la discrétion la plus extrême de Jésus, une parole se lève pour être entendue des païens et les conduire à la conversion. Mt 12,38-42 fait déjà signe en direction de la fin de son évangile puisque la disparition de Jésus du tombeau recevra une double interprétation : elle témoigne d’un côté de l’endurcissement d’une partie d’Israël (à travers ses chefs religieux) et de l’autre côté de l’ouverture de la prédication aux nations. Le signe de Jonas, achèvement extrême de la discrétion du Serviteur d’Isaïe, nous donne rendez-vous devant le tombeau et au-delà. Matthieu 11, 25-27 En ce temps-là, Jésus
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