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Le Caravage, "Appel de saint Mathieu" - Détail. |
Cheminer en carême avec le "Messie discret" dans l’évangile de Matthieu. (Etape 7) Par sœur Adeline Marc, Carmélite de st Joseph. La discrétion du Messie et la parole des témoins La communauté de Matthieu était affrontée à un tournant décisif et qui a sans doute été marquant pour elle : l’échec de la prédication en Israël et la question de l’ouverture de cette prédication aux nations. L’évangile de Matthieu est porté par la question lancinante : pourquoi Israël n’a-t-il pas accueilli son Messie ? En Mt 10 la perspective de ce rejet occupe une large place du discours missionnaire. Mt 11-12 cherche donc à répondre à la question en la replaçant dans l’itinéraire de Jésus, affronté lui aussi au rejet. Matthieu relit dans l’itinéraire de Jésus l’expérience de sa communauté. Ainsi, la discrétion du Messie en Jésus apparaît comme le terrain sur lequel peut être compris le rejet de son Messie par Israël. La discrétion du Messie en Jésus est donc d’abord une expérience que la communauté de Matthieu traverse, un état de fait en partie traumatisant. Mais la relecture de l’Evangéliste, qui y voit un accomplissement de la figure du Serviteur discret, lui donne aussi un sens positif et en déploie la richesse proprement christologique. Matthieu 12,34-37 « Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. L’homme bon, de son bon trésor, retire de bonnes choses ; l’homme mauvais, de son mauvais trésor retire de mauvaises choses. Or je vous le dis : les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole sans portée qu’ils auront proférée. Car c’est d’après tes paroles que tu seras justifié, et c’est d’après tes paroles que tu seras condamné. » Le « Messie discret » au risque de l’histoire Si Jésus ne s’impose pas comme Messie, c’est en effet qu’il redonne la parole à ceux qui l’interrogent, les invitant à faire le chemin du discernement et soulignant l’urgence de la décision à prendre. La discrétion apparaît ici comme un risque que Jésus prend dans l’histoire. Elle accorde en même temps un poids considérable à la liberté et à la parole des témoins. Négativement, cela est souligné en 12,34-37 : la liberté n’est pas sans conséquences et la parole concernant Jésus se doit d’être assumée. Vis-à-vis des foules qui ont suivi Jésus dans sa retraite mais demeurent dans l’indécision, une mise en garde est donnée en 12,30 : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi ». L’indécision ne saurait être de mise : tous en viennent, d’une manière ou d’une autre, à prendre position. Jésus, dans la discrétion qu’il garde sur lui-même, renvoie donc constamment ses interlocuteurs au poids et à la gravité de leur parole. Les uns et les autres ont à se prononcer et personne ne saurait le faire à leur place. La discrétion de Jésus dit que lui-même s’y refuse (12,38-42). Un double mouvement se dessine donc dans le texte : d’une part, c’est Dieu – le Père en 11,25-27 – qui dit l’identité messianique du Fils-Serviteur qu’est Jésus, et d’autre part, ce sont les acteurs – et le lecteur – qui portent la responsabilité de dire Jésus comme Christ, ou de le rejeter. D’un côté comme de l’autre, la discrétion du Messie en Jésus renvoie à ce mouvement. Elle en est à la fois la condition de possibilité et le risque. La responsabilité risquée des témoins La figure du Serviteur discret, tel qu’elle se déploie en Jésus dans le récit de Matthieu 11-12, renvoie donc à la parole des témoins sur Jésus. C’est à eux qu’il revient de dire l’identité de Jésus comme Christ. Leur parole est à la fois le fruit d’un discernement, d’une prise de position libre et l’accueil de la révélation venant du Père (11,25-27). Elle les fait aussi entrer dans une histoire commune avec Jésus puisque, « faisant la volonté du Père », ils sont reconnus par Jésus comme des frères. La parole disant Jésus comme Christ n’est donc pas extérieure, comme une reconnaissance objective, mais une participation à la relation de Jésus à son Père et un partage de sa condition de Fils. Les témoins se trouvent ainsi confrontés à la même discrétion que celle du Serviteur, au même risque, à la même inévidence. La parole des témoins devenus « frères » Si la discrétion du Messie en Jésus redonne la parole aux témoins, elle renvoie aussi à la prédication d’après Pâques. Cela est indiqué dans le texte de Mt 11-12 avec le signe de Jonas. Celui-ci dit d’abord une disparition de celui qui, dans le présent, du récit, parle et se manifeste. Le Fils de l’homme disparaît dans le ventre de la terre, signe ultime et paradoxal de la discrétion du Messie en lui. Il s’agit là de la première annonce de la mort de Jésus et de sa disparition. Elle renvoie à ce moment où Jésus n’est plus présent en personne pour dire de lui-même qui il est. Le signe de Jonas dit ensuite une deuxième chose : sur la disparition du Fils de l’homme, une parole en vient pourtant à se lever, à l’image de Jonas entendu à Ninive après son séjour dans le ventre du poisson. Le signe de Jonas indique donc que la disparition du Fils de l’homme n’est pas la fin de son histoire et qu’une proclamation lui fait suite. Le lecteur est ici renvoyé à la fin du récit de Matthieu, où les témoins que sont les disciples sont envoyés pour faire entendre leur voix. Si le Serviteur faisait entendre discrètement sa mission d’annoncer le jugement aux nations, c’est aux témoins qu’il revient de prendre en charge cette annonce, disant par là l’identité messianique de Jésus. La discrétion du Messie en Jésus, poussée à son comble dans sa disparition, ouvre donc la prise en charge de son histoire et de son identité par d’autres que lui. Elle redonne jusqu’au bout la parole aux témoins, devenus frères. Cette parole des témoins demeure en même temps discrète. Elle est exposée, elle aussi, au rejet et à la négation. L’autorité « discrète » de la communauté des témoins En indiquant que cette discrétion n’est pas seulement un état de fait « malheureux » mais une attitude voulue par Jésus, qui renvoie la parole aux témoins, Matthieu peut ainsi aider à établir un lien entre le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi. L’écart entre la prédication de Jésus et celle de l’Eglise trouve son fondement dans la discrétion de Jésus lui-même sur son identité de Messie. Celle-ci, dans l’accomplissement de la figure du Serviteur discret et miséricordieux, est en même temps le signe – paradoxal – où il peut être reconnu comme Messie. Le « Christ discret » de l’évangile de Matthieu redonne la parole au groupe de témoins qu’est la communauté chrétienne, appelée à dire Jésus comme Christ, dans le « style » où lui-même se donne à reconnaître, celui du Serviteur discret. Positivement, la communauté peut se reconnaître comme celle des « frères » de Jésus, ces petits ouverts à la révélation du Père, et appelés, dans la même discrétion – qui ne va pas sans autorité et annonce – et la même douceur, à "faire la volonté du Père". En cela, la christologie de la discrétion que Matthieu met en œuvre se trouve en prise sur le réel que la communauté doit vivre. Matthieu 28,16-20
Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, |
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